Aliette Guibert-Certhoux on Fri, 15 Feb 2013 07:46:35 +0100 (CET)


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[Nettime-fr] Aaron Swartz @ F2C 2012, Washington D.C. le 14 mai 2012


La pétition DemandProgress lancée par Aaron Swartz contre les lois
SOPA et PIPA, dont il est question dans cette allocution, a rassemblé
1.000 000 d'adhérents pour signer. Certains pensent aujourd'hui que
c'est le charisme et le succès de Swartz qui ont été la cause d'un
harcèlement délibéré pour le aire disparaître, soit en l'enfermant
pendant longtemps, soit en le poussant au suicide (ce qui était s'en
débarrasser plus radicalement encore que de l'enfermer pendant 30 ou
50 ans), afin qu'il n'apparaisse pas contre la loi suivante : CISPA.
Le "Cyber Intelligence Sharing and Protection Act ", serait en
principe exécuté  par des services spéciaux du FBI et de la CIA, et
cette fois réclamé par La Maison Blanche. Loi globale avec une
extension internationale que les américains considèrent comme une
extension du Patriot Act à propos du web et qui donnera avec des
accords à l'étranger. La revoilà :

http://mashable.com/2013/02/11/obama-cybersecurity-order/
http://stream.aljazeera.com/story/201302150111-0022549

et voici celui qui explique le durcissement de la procédure de Swartz
en mars et avril 2012 (la caution en avril et les chefs d'inculpation
multiples grâce à la réouverture de dossiers déjà jugés (PACER) durant
les mois avant) :

http://www.rawstory.com/rs/2012/04/29/activist-decries-cispa-as-a-patriot-act-for-the-internet/

Certains pensent même qu'il aurait pu être délibérément poussé au
suicide sur ordre du gouvernement (et peut-être même aidé à se pendre,
car le rapport légal ne s'engage que sur la pendaison mais pas sur un
suicide). De toutes façons c'est un meurtre, tout le monde en est bien
d'accord, car tout est trop gros, y compris la caution capturant la
totalité de ses ressources lui restant  de Reddit au point qu'il ne
puisse plus disposer plus de quoi payer sa défense,(Lawrence lessig
l'a découvert ensuite et l'a évoqué, disant que de toutes façons
personne n'aurait pu le secourir parce que la seconde échelle
judiciaire, celle régionale, ne le tolère pas).  Donc le 25 janvier il
allait à l'abattoir.

Y compris le retour sur des choses déjà jugées afin d'accroître les
chefs d'inculpation pour prolonger la peine. Les services secrets sont
intervenus pour circonvenir le MIT. C'était évidemment un ordre
gouvernemental, et il serait surprenant qu'au moment où Obama prépare
l'entrée en force de la loi CISPA au Congrès, il réponde moindrement
aux deux pétitions demandant l'exclusion de la procureure et de son
adjoint -- exécutants du gouvernement sous ses ordres sur un sujet
aussi sensible en termes de répression en ce moment.

Pour voir l'article entier où se trouve cette traduction (bien qu'elle
soit intégralement copiée ici) et les liens afférents, et autre
photographie,

http://www.criticalsecret.net/aaronswartz-la-liberte-sur-internet-apres-sopa-after-sopa-f2c-may-2012,093.html


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« Comment nous avons arrêté SOPA »

> Aaron Swartz  @ F2C 2012, Washington D.C. le 14 mai 2012
> http://youtu.be/Fgh2dFngFsg




Alors, pour moi, tout a commencé pour un appel téléphonique. C’était
en Septembre — pas l’année dernière, mais l’année d’avant, Septembre
2010. J’ai reçu un appel téléphonique de mon ami Peter. « Aaron », il
a dit, « il y a une loi étonnante sur laquelle tu devrais jeter un
coup d’oeil. » « C’est quoi ? » j’ai dit, « On l’appelle la loi COICA
[5], la lutte contre les infractions en ligne et les contrefaçons. » «
Mais, Peter, » j’ai dit, « je ne m’occupe pas du droit d’auteur. Tu as
peut-être raison. Hollywood a peut-être raison. Mais quoiqu’il en
soit, quel est l’enjeu ? Je ne vais pas gaspiller mon temps à me
disputer sur un problème de détail comme le droit d’auteur. La santé,
la réforme financière — ce sont les questions sur lesquelles je
travaille. Pas sur quelque chose d’obscur comme le droit d’auteur. »
Je pouvais entendre Peter grogner dans le fond. « Écoute, je n’ai pas
le temps de discuter avec toi », il m’a dit, « mais ce n’est pas grave
pour le moment, comme ce n’est pas un projet de loi sur les droits
d’auteur. » « Ce n’est pas sur ce cas ? » « Non, » dit-il. « C’est un
projet de loi sur la liberté de se connecter. » Maintenant, je
l’écoutai.

Alors Peter m’expliqua ce que vous avez probablement tous appris
depuis longtemps, que ce projet de loi allait permettre au
gouvernement de concevoir une liste de sites que les Américains ne
seraient pas autorisés à aller visiter. Le lendemain, j’en suis venu à
expliquer cela aux gens, de toutes sortes de façons. J’ai dit que
c’était un grand pare-feu de l’Amérique. J’ai dit que c’était une
liste noire sur Internet. J’ai dit que c’était la censure en ligne.
Mais je pense que cela vaut la peine de prendre un peu de recul, en
mettant de côté toute la rhétorique, pour penser juste un instant à ce
qu’était vraiment la radicalité de ce projet de loi. Bien sûr, il y a
de nombreuses circonstances où le gouvernement impose des règles sur
la parole. Si vous calomniez une personnalité privée, si vous payez la
télévision pour faire une publicité mensongère,, si vous faites une
boom sauvage où on de la musique à fond toute la nuit, dans tous ces
cas, le gouvernement peut venir vous arrêter. Mais c’était quelque
chose de radicalement différent. Ce n’était pas le gouvernement allant
voir des gens pour anéantir un matériau illégal particulier ; c’était
entièrement fermer des sites Web. Pour l’essentiel, c’était totalement
empêcher les américains de communiquer avec certains groupes. Il n’y a
vraiment rien de semblable dans la loi américaine. Si vous jouez à
fond de la musique toute la nuit, le gouvernement ne vous gifle pas
d’une ordonnance vous enjoignant de rester muet pendant les deux
semaines suivantes. Il ne vous dit pas que plus personne ne peut faire
de bruit à l’intérieur de votre maison. Il y a une réclamation
particulière, pour vous demander d’y remédier spécifiquement, et puis
votre vie continue.

L’exemple le plus proche que j’ai pu trouver était un cas où le
gouvernement guerroyait contre une librairie pour adultes. Le lieu
était considéré comme vendant de la pornographie, le gouvernement
considéra que remiser de la pornographie était illégal. Finalement
frustrés, ils ont décidé de fermer toute la librairie une fois pour
toutes. Mais au bout du compte même cela fut déclaré
inconstitutionnel, en violation du Premier Amendement.

Alors, me direz-vous, sûrement que COICA aurait été déclaré
inconstitutionnel de la même façon. Mais je savais que la Cour suprême
avait une tache aveugle sur le Premier Amendement, plus que toute
autre chose, plus que la calomnie ou la diffamation, plus que la
pornographie, et même plus que la pornographie enfantine. Leur tache
aveugle était le droit d’auteur. Quand elle en est venue au droit
d’auteur, c’était comme si une partie du cerveau des juges était
éteinte, tout simplement ils avaient juste oublié le Premier
Amendement en totalité. On a le sentiment qu’au fond ils n’avaient
même pas pensé que le premier amendement fût applicable lorsque le
droit d’auteur était en cause, ce qui signifia que s’ils voulaient
censurer l’Internet, en quelque sorte arriver à ce que le gouvernement
pût interdire l’accès à certains sites web, et bien il était possible
que ce projet de loi eût comme chemin le droit d’auteur. S’il s’était
s’agi de la pornographie, la loi aurait probablement été annulée par
les tribunaux, tout comme le cas de la librairie pour adultes. Mais si
vous prétendiez que c’était à propos du droit d’auteur, tout pouvait
parfaitement s’y faufiler.

Et c’est particulièrement terrifiant, parce que, comme vous le savez,
le droit d’auteur est partout. Si vous voulez arrêter WikiLeaks, c’est
un peu exagéré de prétendre que vous le faites parce qu’ils donnent
trop dans la pornographie, mais ce n’est absolument pas difficile de
prétendre que Wikileaks viole le droit d’auteur, comme tout est sous
copyright. Ce discours, c’est-à-dire ce que je suis en train de faire
ici, et bien ces mots là sont protégés par le copyright. Or il est
tellement facile de copier quelque chose accidentellement, c’est en
effet si facile, que le principal soutien républicain de la COICA,
Orrin Hatch lui-même, avait illégalement copié un tas de sources dans
son propre site web au Sénat. Alors, si le même le site sénatorial
d’Orrin Hatch a pu être trouvé en train de violer le droit d’auteur,
quelles chances y aurait-il de ne pas trouver quelque chose pouvant
être épinglé chez chacun de nous ?

Il y a une bataille en cours actuellement, une lutte pour définir en
termes d’objets traditionnels compris dans la loi tout ce qui se passe
sur Internet. Le partage d’une vidéo sur BitTorrent est-ce comme un
vol à l’étalage dans un magasin de films ? Ou encore est-ce comme
prêter une cassette vidéo à un ami ? Est-ce que le rechargement d’une
page Web maintes et maintes fois est un sit-in virtuel pacifique ou un
coup violent dans une vitrine ? La liberté de se connecter est-elle
une liberté de parole ou une liberté d’assassiner ?

Ce projet de loi allait être une perte énorme, potentiellement
durable. Si nous perdions la capacité de communiquer les uns avec les
autres sur l’Internet, ce serait un changement par rapport à la charte
des droits. Les libertés garanties par notre constitution, les
libertés sur lesquelles notre pays a été construit, seraient tout à
coup supprimées. Les nouvelles technologies, au lieu de nous apporter
une plus grande liberté, auraient étouffé les droits fondamentaux que
nous avions toujours tenus pour acquis. Et j’ai réalisé ce jour-là, en
parlant à Peter, que je ne pouvais pas laisser faire ça.

Mais ça allait se faire. La loi, la COICA, fut introduite le 20
Septembre 2010, un lundi, et dans le communiqué de presse annonçant la
mise en place du projet de loi, elle était prévue tout compte fait
pour être votée trois jours plus tard, le 23 Septembre. Et alors que,
bien sûr, il allait y avoir un scrutin — vous ne pouvez pas passer un
projet de loi sans le soumettre aux voix, — les résultats du vote
étaient déjà connus d’avance, parce que si vous regardiez
l’introduction du texte, il ne venait pas tout juste d’être présenté
par quelque membre voyou excentrique du Congrès, il était introduit
par le président de la commission judiciaire et coparrainé par presque
tous les autres membres, républicains et démocrates. Donc, oui, il
allait y avoir un vote, mais ça n’allait vraiment pas être une
surprise, parce que presque tous ceux qui allaient voter avaient leur
nom signé sur le texte de la loi avant même qu’elle ne soit passée.

Maintenant, je ne peux m’empêcher de noter comme cet acte expéditif
était rare. Ce n’est absolument pas la façon de travailler du Congrès.
Je ne parle pas de la façon dont le Congrès devrait fonctionner, comme
vous le voyez sur Schoolhouse Rock [6]. Je veux dire que ce n’est pas
la façon dont fonctionne réellement le Congrès. Je crois, en fait, que
nous savons tous que le Congrès est une zone morte, due au blocage et
au dysfonctionnement. Il y a des mois de débats et de magouilles et
d’audiences, et de tactiques dilatoires. Je veux dire par là, vous
savez, que tout d’abord vous êtes censé annoncer que vous allez tenir
des audiences sur un problème, puis dire les jours où les experts vont
parler de la question, et ensuite vous devez proposer une solution
possible, procurer une idée pour le retour des experts sur le sujet,
ensuite les autres membres ont des solutions différentes, et ils les
proposent, et vous passez des montagnes de temps à débattre, et il y a
un tas de négociations, afin de rallier des membres à votre cause.
Enfin, vous passez des heures à parler seul à seul avec les personnes
différentes du débat, vous essayez de revenir à une sorte de
compromis, que vous bricolez dans d’interminables réunions en
coulisses. Et quand tout ça est fait, vous le prenez, et vous le
soumettez ligne par ligne à l’examen du public, pour voir si certains
ont des objections ou veulent apporter des modifications. Et puis,
vous avez le droit d’accéder au vote. C’est un douloureux processus,
ardu. Il ne suffit pas d’introduire un projet de loi le lundi, pour le
passer à l’unanimité quelques jours plus tard. Cela ne se fait pas au
Congrès.

Mais cette fois, ça allait se produire. Et ce n’était pas faute de
désaccord sur la question. Il y a toujours des désaccords. Certains
sénateurs pensaient que loi était beaucoup trop faible et devait être
plus forte : vu la façon dont le texte avait été rédigé il autorisait
seulement le gouvernement à fermer les sites Web, et ces sénateurs
voulaient que toute consortium où que ce soit dans le monde ait le
pouvoir d’obtenir l’arrêt d’un site Web. D’autres sénateurs pensaient
que c’était un coup trop fort. Mais de toute façon, dans un genre que
vous ne verrez jamais autrement à Washington, ils avaient tous réussi
à mettre de côté leurs différends personnels pour se rassembler et
soutenir ce projet de loi, ils étaient persuadés qu’ils pouvaient tous
s’accommoder de la loi qui allait censurer l’Internet. Et quand j’ai
vu ça, j’ai réalisé que quelque fut la personne derrière : c’était
bon.

Maintenant, la manière typique dont vous disposez pour faire se
produire des bonnes choses à Washington, c’est de trouver un tas de
riches sociétés qui soient d’accord avec vous. La sécurité sociale n’a
pas été adoptée parce que certains politiciens courageux avaient
décidé, en leur âme et conscience, qu’ils ne pouvaient pas laisser les
personnes âgées mourir de faim dans les rues. Non mais, je plaisante ?
La sécurité sociale est passée parce que John D. Rockefeller était
malade d’avoir à soustraire de l’argent de ses bénéfices pour payer
les fonds de pension pour ses ouvriers. Pourquoi le faire, quand on
peut simplement laisser le gouvernement prendre l’argent des
travailleurs à la place ? Sur ce point, mon problème n’est pas que la
sécurité sociale soit une mauvaise chose, je pense que c’est
fantastique. C’est juste que la façon dont on amène le gouvernement à
faire des choses fantastiques, ce soit de trouver une grande
entreprise prête à les soutenir. Le problème, bien sûr, c’est que les
grandes entreprises ne soient pas vraiment d’énormes fans des libertés
civiles. Vous savez, ce n’est pas qu’elles soient contre, c’est juste
qu’il y ait peu d’argent dans les libertés civiles.

À présent, si vous avez lu la presse, vous n’avez probablement pas
entendu parler de ce versant de l’histoire : comme Hollywood avait été
le raconter, la bonne grande loi du droit d’auteur qui les faisait
fonctionner avait été stoppée par les entreprises diaboliques de
l’Internet, qui avaient tiré des millions de dollars de la violation
du copyright. Sauf que, simplement — ce n’était pas vrai. C’est-à-dire
j’y étais, dans les meetings avec les sociétés de l’Internet — à peu
près toutes celles qui sont ici aujourd’hui. Et vous savez, si tous
leurs bénéfices dépendaient de la violation du copyright, ils auraient
misé beaucoup d’argent pour changer le droit d’auteur. Le fait est que
les grosses sociétés de l’Internet s’arrangeraient très bien de cette
loi si elle passait. Je veux dire qu’elles ne s’en réjouiraient pas
particulièrement, mais je doute que la valeur de leurs actions en
subirait une baisse sensible. Alors qu’elles ont été contre, mais
elles ont été contre, comme le reste d’entre nous, principalement pour
des questions de principe. Et le principe ne dispose pas d’une masse
d’argent du budget à consacrer aux lobbyistes. Donc, ils ont été
pratiques sur la question. « Vous voyez, » ils ont dit, « ce texte de
loi va passer. De fait il va probablement passer à l’unanimité. Autant
que nous puissions le tenter, ce n’est pas un train que nous soyons en
mesure d’arrêter. Alors, on ne va pas soutenir ce projet -– on ne
pourrait pas le supporter. Mais en opposition nous allons juste
essayer de faire mieux. » Donc la stratégie fut : une pression pour
rendre la loi meilleure. Ils avaient des listes de modifications pour
rendre la loi moins odieuse ou moins coûteuse pour eux, ou pour qui
que ce soit. Mais le fait résultant à la fin de la journée était qu’il
allait y avoir un texte de loi pour censurer l’Internet, et qu’il n’y
avait rien à faire pour parvenir à l’arrêter.

J’ai donc fait ce qu’on fait toujours quand on est un petit bonhomme
avec des côtes en long et peu d’espoir de succès face à un avenir
terrible : j’ai commencé une pétition en ligne. J’ai appelé tous mes
amis, et nous sommes restés debout toute la nuit à mettre en place un
site sur Internet pour ce nouveau groupe, Demand Progress, avec une
pétition en ligne contre cette loi délétère, que j’ai envoyée à
quelques amis. Pour ne rien vous cacher, avant j’avais fait quelques
pétitions en ligne. J’avais travaillé pour quelques-uns des plus
grands groupes qui font des pétitions en ligne dans le monde. J’en
avais écrit une tonne et j’en avais lu encore plus. Mais je n’avais
jamais rien vu de tel. A partir de pratiquement rien, nous sommes
montés à 10.000 signataires, à 100.000 signataires, puis 200.000 et
300.000 signataires, en seulement quelques semaines. Et il ne
s’agissait pas simplement de signer un nom ; nous demandions aux gens
d’appeler le Congrès, de l’appeler d’urgence. Il y avait un vote à
venir dans la semaine, à quelques jours e là seulement, et nous
devions l’arrêter. En même temps, nous avons parlé à la Presse de
cette incroyable pétition en ligne qui décollait. Et nous avons
rencontré l’équipe des membres du Congrès et les avons suppliés de
retirer leur soutien à ce projet de loi. C’était incroyable, je veux
dire. C’était énorme. La puissance de l’Internet se levait avec
vigueur contre ce projet de loi… Et puis la voilà adoptée à
l’unanimité.

Maintenant, pour être juste, plusieurs membres ont fait de beaux
discours avant de voter, et dans leurs discours, ils ont déclaré que
leur bureau avait été submergé par des commentaires sur les
préoccupations concernant le Premier Amendement soulevées par ce
texte, commentaires qui les avaient beaucoup inquiétés, tellement
inquiétés, en fait, qu’ils n’étaient pas sûrs de soutenir encore cette
loi. Mais même s’ils ne la soutenaient pas, ils ont dit qu’ils
allaient voter pour, de toute façon, parce qu’ils avaient besoin de
faire avancer le processus, étant certains que tous les problèmes qui
s’étaient posés avec ce texte pourraient être réparés ultérieurement.
Alors, je vous demande, d’après vous cela résonne-t-il d’après vous
comme le devrait Washington, DC ? Depuis quand les membres du Congrès
votent pour des choses auxquelles ils s’opposent, juste pour la
poursuite du processus ? Je veux dire que peu importait la personne
qui était derrière : c’était bon.

Et puis, tout à coup, le processus s’est arrêté. Le sénateur Ron
Wyden, le démocrate de l’Oregon a mis un frein sur cette loi. En
donnant un discours dans lequel il la qualifiait de bombe de
pénétration nucléaire contre l’Internet, il annonça qu’il ne la
laisserait pas passer sans modification. Et comme vous le savez
peut-être, des sénateurs solitaires ne peuvent pas arrêter par
eux-mêmes une loi, mais ils peuvent la retarder. En s’opposant à un
projet de loi, ils peuvent exiger que le Congrès accorde beaucoup de
temps pour en débattre avant de la faire adopter. Et le sénateur Wyden
l’a fait. Il nous a fait gagner du temps — beaucoup de temps, en fin
de compte. Son effet de retard s’est maintenu tout au long de la fin
de cette session du Congrès, de sorte que lorsque la loi est revenue,
il a fallu tout recommencer à zéro. Et comme ils allaient tout
recommencer à zéro, ils ont pensé, pourquoi ne pas lui donner un
nouveau nom ? Et c’est là que ça a commencé à s’appeler PIPA, et
finalement SOPA.

Par là il y a eu de cette façon probablement un ou deux ans de retard.
Et avec le recul, nous avons utilisé ce temps pour jeter les bases de
ce qui allait arriver plus tard. Mais ce n’était pas ce qu’on pouvait
en ressentir à l’époque. À l’époque, on avait l’impression d’être
allés dire aux gens que ces projets de loi étaient terribles, et qu’en
retour ils nous avaient répondu qu’ils pensaient qu’on était fous. Je
veux dire que nous étions des enfants errants agitant les bras à
propos de la façon dont le gouvernement allait censurer l’Internet. Ça
a l’air un peu fou. Vous pourrez demander à Larry [7] demain. J’étais
en permanence en train de lui dire ce qui se passait, à essayer de
l’impliquer, et je suis quasiment certain qu’il pensait tout
simplement que j’exagérais. Même moi j’ai commencé à douter de moi. Ce
fut un moment difficile. Mais quand le texte de loi revint et démarra
de nouveau, soudain tout le travail que nous avions fait commença à
nous rassembler. Tout à coup tous les gens auxquels nous avions parlé
à ce sujet commencèrent à s’investir vraiment, et à convaincre
d’autres personnes de s’impliquer. Tout démarrait en faisant boule de
neige. C’est arrivé tellement vite.

Je me souviens d’une semaine où je dînais avec un ami qui est dans
l’industrie de la technologie, et il m’a demandé à quoi je
travaillais, alors je lui ai parlé de ce projet de loi. Et il a dit :
« Wow ! Un sujet pareil, il faut informer les gens. » Et je jubilais.
Puis quelques semaines après, je me souviens d’avoir discuté dans le
métro avec cette jolie jeune fille qui n’était pas dans le coup de la
technologie, mais qui s’était tournée vers moi quand elle avait
entendu mon nom, pour me dire, très sérieusement : « Vous savez, il
faut empêcher « SOAP » [8]. ». Donc, un progrès, pas vrai ?

Vous savez, je pense que cette histoire illustre ce qui s’est produit
au cours de ces deux semaines, parce que la raison pour laquelle nous
avons gagné ce n’était pas parce que j’y travaillais ou Reddit y
travaillait ou Google y travaillait, ou Tumblr, ou tout autre
protagoniste particulier. C’était parce qu’il y avait cet énorme
changement mental dans notre mise en œuvre. Tout le monde pensait aux
moyens d’aider, souvent des moyens ingénieux, très intelligents. Les
gens ont fait des vidéos. Ils ont fait de l’infographie. Ils ont
commencé à faire des comités d’action politiques [9]. Ils ont conçu
des annonces. Ils ont acheté des panneaux d’affichage. Ils ont écrit
des reportages. Ils ont tenu des réunions. Tout le monde considérait
de son devoir d’aider. Je me souviens qu’au cours de cette période, à
un moment donné, j’ai eu une réunion avec un groupe de jeunes startups
à New York, pour essayer d’encourager chacun à s’impliquer, je m’y
sentais un peu comme si j’avais été l’hôte d’une des rencontres
mondiales à l’initiative de Clinton, où je suis arrivé à convaincre
chaque startup — les fondateurs ou ceux qui pouvaient en avoir l’air
dans la salle : « Qu’allez-vous faire ? Qu’est-ce que tu vas faire ? »
Et tout le monde essayait de marquer un point sur l’autre.

S’il y a eu un jour où le changement s’est cristallisé, je pense que
c’était le jour de l’audience pour SOPA à la Chambre, le jour où nous
avons capté cette phrase : « Il n’est plus question qu’on accepte de
ne pas se mêler du fonctionnement d’internet. » C’était juste quelque
chose que de voir ces membres désemparés débattre au Congrès sur le
projet de loi, et de les regarder insister pour dire qu’ils allaient
réglementer l’Internet, et que ce n’était pas une masse d’idiots qui
pourrait les arrêter. Ils étaient vraiment en train de mettre dans la
tête des gens que ce qui arrivait, c’était que le Congrès allait
casser l’Internet, et que ça n’allait pas faire un pli.

Je me souviens que d’un moment qui m’a frappé : c’était à une
audience, je parlais et je me suis présenté à un sénateur américain,
un des plus ardents défenseurs de COICA, la loi à l’origine des autres
en fait. Et je lui ai demandé pourquoi, en dépit d’être si
progressiste, et malgré un discours en faveur des libertés civiles,
pourquoi il soutenait un projet de loi qui censurait Internet. Alors
vous connaissez, ce sourire typique des politiciens, tout à coup il a
disparu de son visage, et ses yeux ont commencé à s’embraser de
colère. Il a commencé à me crier dessus, et a déclaré : « Ces gens de
l’Internet, ils pensent qu’ils peuvent être quittes de tout ! Ils
pensent qu’ils peuvent mettre n’importe quoi là-dessus, et qu’il n’y a
rien que nous puissions faire pour les arrêter ! Ils y ont tout mis !
Ils y ont mis nos missiles nucléaires, et ils se moquent de nous ! Eh
bien, nous allons leur montrer ! C’est parti pour aller sous contrôle
! »

Maintenant, pour autant que je sache, personne n’a jamais mis les
missiles nucléaires américains sur Internet. Je veux dire, ce n’est
pas quelque chose dont j’ai entendu parler. Mais c’est une sorte de
degré. Il n’avait pas une préoccupation rationnelle, je me trompe ?
C’est cette peur irrationnelle que les choses soient hors de contrôle.
Il y avait là cet homme, un sénateur américain, et ces gens sur
Internet, tout simplement ils se moquaient de lui. Ils devaient être
mis sous contrôle. Les choses devaient être sous contrôle. Et je pense
que c’était l’attitude du Congrès. Et de la même façon que voir les
yeux du sénateur s’enflammer de colère m’avait fait peur, je pense que
ces audiences ont effrayé beaucoup de gens. Ils ont vu que ce n’était
pas l’attitude d’un gouvernement réfléchi cherchant à trouver des
compromis afin de représenter au mieux ses citoyens. C’était plutôt
l’attitude d’un tyran. Et c’est pourquoi les citoyens ont riposté.

Après cette audition le train a roulé assez vite. D’abord, les
sénateurs républicains se sont retirés, puis la Maison Blanche a
publié une déclaration pour s’opposer au projet de loi, puis les
démocrates, laissés tout seuls là-bas, ont annoncé qu’ils mettaient le
projet de loi en attente afin de pouvoir tenir quelques discussions
supplémentaires avant le vote officiel. Et c’est alors, aussi
difficile que cela fut pour moi de le croire après tout ça, que nous
avons gagné. La seule chose dont tout le monde avait dit qu’elle était
impossible, sur laquelle certains des plus grands consortiums au monde
avaient capitulé, était arrivée comme une sorte de rêve. Nous l’avons
fait. Nous avons gagné.

Et puis nous avons commencé à nous frotter les mains. Vous savez tous
ce qui s’est passé ensuite. Wikipedia a fait un black-out. Reddit a
fait un black out. Craigslist a fait un black out. Tout à coup les
lignes téléphoniques sur Capitol Hill se sont emmêlées. Les membres du
Congrès commencèrent à se précipiter pour diffuser des déclarations de
retrait de leur soutien au projet de loi dont ils faisaient la
promotion seulement quelques jours avant. Et c’était tout simplement
ridicule. Je veux dire, il y a un graphique du moment qui saisit assez
bien, d’un côté quelque chose comme le « 14 Janvier » avec la grande
et longue liste de noms à l’appui de la loi, et quelques personnes
solitaires qui s’y opposent, et de l’autre côté, on écrit « 15 Janvier
», et là tout est inversé — tout le monde s’y oppose, sinon quelques
noms solitaires encore accrochés à la soutenir.

Je veux dire que c’était vraiment sans précédent. Ne me prenez pas
exactement au mot, mais demandez à l’ancien sénateur Chris Dodd,
actuellement lobbyiste en chef pour Hollywood. Il a admis, après avoir
perdu, qu’il avait orchestré l’ensemble du plan malfaisant. Et il dit
au New York Times qu’il n’avait jamais rien vu de tel au cours de ses
nombreuses années au sein du Congrès. Et tous les gens à qui j’avais
parlé étaient d’accord. Les gens se sont levés, et ils ont provoqué un
profond changement à Washington ; non pas la Presse, qui a tout
simplement refusé de couvrir les minutes des faits, — par coïncidence,
leurs compagnies mères en étant toutes arrivées à faire du lobbying
pour la loi, — pas les politiciens, qui étaient à peu près unanimes en
faveur de cette loi, ni les entreprises, qui s’étaient résignées,
essayant de l’empêcher tout en ayant décidé qu’elle était inévitable.
Cette loi a été vraiment été arrêtée par le peuple, par les gens
eux-mêmes. Ils ont mis à mort le projet de loi, mort, si mort que
maintenant, lorsque les membres du Congrès proposent quelque chose qui
touche à l’Internet même, ils doivent faire un discours longtemps à
l’avance sur la façon dont ce n’est certainement pas comme SOPA ;
tellement mort, que si vous interrogez le staff du Congrès à ce sujet,
ils gémissent et hochent la tête comme si c’était simplement un
mauvais rêve qu’avec beaucoup de difficulté ils tentent d’oublier,
tellement mort qu’il est quelque peu difficile de croire à cette
histoire, difficile de se rappeler à quel point tout ça était à deux
doigts de passer, difficile de se rappeler comment ça a pu arriver
autrement. Mais ce n’était ni un rêve ni un cauchemar, tout ça était
bien réel.

Seulement bien sûr, cela va se reproduire. Bien sûr, il y aura encore
un projet avec un autre nom, et peut-être une excuse différente, et
probablement causant ses dégâts d’une manière différente. Surtout ne
vous méprenez pas : les ennemis de la liberté de se connecter n’ont
pas disparu. La foudre dans les yeux de ces hommes politiques n’a pas
été éteinte. Il y a beaucoup de gens, beaucoup de gens puissants, qui
veulent mettre un frein à l’Internet. Et pour être honnête, il n’y en
a pas beaucoup qui ont un intérêt direct à protéger tout ça. Même
certaines des plus grandes entreprises, je parle de certaines des plus
grandes entreprises d’Internet, pour tout dire, bénéficieraient d’un
monde dans lequel leurs petits concurrents pourraient être censurés.
Nous ne pouvons pas laisser cela se produire.

Maintenant, je vous ai raconté ça en guise d’histoire personnelle, en
partie parce que je pense que de grandes histoires comme celle-ci sont
vraiment plus intéressantes quand elles sont à l’échelle humaine. Le
metteur en scène J.D. Walsh affirme que les bonnes histoires devraient
être comme l’affiche de Transformers. Il y a un énorme robot du mal
sur le côté gauche de l’affiche et une énorme armée nationale sur le
côté droit de l’affiche. Et au milieu, en bas, il y a juste une petite
famille piégée entre les deux. Les grandes histoires ont besoin
d’enjeux humains. Mais surtout, c’est une histoire personnelle, parce
que je n’ai pas eu le temps de faire la moindre recherche sur l’autre
partie. Mais c’est un peu le but. Nous avons gagné ce combat parce que
tout le monde s’est fait le héros de sa propre histoire. Chacun l’a
prise pour faire son lot de sauver cette liberté essentielle. Tous se
sont jetés dedans. Ils ont fait tout ce qu’ils pouvaient penser de
faire. Ils n’ont pas cessé de se passer de la permission de quelqu’un.
Vous vous rappelez comment les lecteurs de Hacker News avaient
spontanément organisé le boycott de Go Daddy à cause de leur soutien à
SOPA ? Personne ne leur a dit qu’ils pouvaient le faire. Quelques
personnes ont même pensé que c’était une mauvaise idée. Cela n’avait
pas d’importance, les sénateurs avaient raison : Internet est vraiment
hors de contrôle. Mais si nous oublions, si nous laissons Hollywood
réécrire l’histoire selon laquelle c’est la grosse société Google qui
a empêché cette loi, si nous les laissons nous persuader que nous ne
faisions pas réellement la différence, si nous commençons à nous dire
que quelqu’un d’autre a la responsabilité de faire ce travail et que
notre boulot c’est de rentrer à la maison et de nous détendre sur le
canapé avec du pop-corn pour regarder Transformers, eh bien, la
prochaine fois ils pourraient bien gagner. Ne laissons pas cela se
produire.




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"#AaronSwartz La liberté sur Internet après SOPA / After SOPA @ F2C
May 2012" by Aaron Swartz (Louise Desrenards traductrice en français
d'après la retranscription de Democracy Now !) is licensed under a
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License. Based on a work at
http://www.criticalsecret.net/aaronswartz-la-liberte-sur-internet-apres-sopa-after-sopa-f2c-may-2012,093.html

Merci de lier criticalsecret.net qui manque cruellement de liens alors
qu'il y est fait chaque mois un carnet intéressant;-)

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