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<nettime> Paul Saffo: Le Nouveau Moment Grotius |
As published in French, with a machine translation into English below < https://legrandcontinent.eu/fr/2025/08/22/le-nouveau-moment-grotius/ > # # # # # # # # FRENCH # # # # # # # # Le Nouveau Moment GrotiusLa dislocation de l’ordre international pourrait n'avoir qu'une cause aussi simple que profonde : les États-nations ne tiennent pas dans l’espace numérique.
De la planète Mars à Westphalie, en passant par Thiel et Trump, l’un des intellectuels les plus originaux de la Silicon Valley dresse une nouvelle carte de la Terre à l’ère de l’intelligence artificielle.
Paul Saffo 22 août 2025Pour comprendre les grandes transformations géopolitiques en cours et identifier de nouvelles tendances, profitez de notre offre découverte à 8 euros par mois
La révolution numérique ne date pas d’hier. Son histoire a commencé il y a un peu plus de soixante-quinze ans, mais son rythme a changé, en s’accélérant. L’ampleur des innovations technologiques, tout autant que l’étendue de leurs répercussions ont fini par transformer la structure de l’ordre international, en disloquant sa pierre angulaire : l’État-nation.
Constater cet effondrement ne saurait suffire. Les prémices d’un ordre nouveau apparaissent. Pour comprendre ce changement, deux éléments sont déterminants. Il s’agit d’abord d’identifier les indicateurs déjà visibles, puis d’analyser la dynamique de ces mutations à la lumière de transitions analogues dans le passé afin d’appréhender ceux qui ne le sont pas encore.
Comme le résumait Mark Twain, « l’histoire ne se répète pas, mais elle rime ». Même dans les périodes de bouleversements radicaux, les forces profondes à l’œuvre présentent souvent une étonnante continuité d’une révolution à l’autre.
Entre la guerre et la paixCe moment présente en effet une ressemblance frappante avec les évènements qui ont suivi une autre révolution technique et médiatique, correspondant à l’essor de l’imprimerie entre le XVIᵉ et le XVIIᵉ siècles.
Pour comprendre comment ces innovations médiatiques ont bouleversé l’ordre international, une figure s’impose : Hugo Grotius.
Né à Delft en 1582 et mort à Rostock en 1645, Hugo de Groot — dit Grotius — a traversé une période historique de transformations vertigineuses qui n’est pas sans rappeler celle dans laquelle nous nous trouvons.
Au cours de sa longue vie, cet humaniste et juriste néerlandais a connu la révolution de l’imprimerie, la révolution copernicienne, la guerre de Trente Ans, et surtout la paix de Westphalie, ce traité fondateur de l’ordre international basé sur l’État-nation moderne.
Grotius est à juste titre considéré comme le père du droit international public. Constatant l’érosion — alimentée par l’imprimerie et le commerce — de l’ordre monarchique, il élabora une théorie de l’État et posa les fondements d’un système destiné à organiser leurs relations.
Le professeur américain de droit international Richard Falk a parlé de « moment grotien »
1pour décrire une période de bouleversement paradigmatique, au cours de laquelle de nouvelles règles et doctrines du droit international coutumier émergent avec une rapidité inhabituelle.
Nous pouvons considérer que nous traversons aujourd’hui un nouveau moment Grotius, porté par l’émergence des médias numériques de la même manière que l’imprimerie avait bouleversé l’Europe au XVIᵉ siècle. Les parallèles entre ces deux révolutions sont frappants. Toutefois, ce qui caractérise ce nouveau moment est un facteur décisif qui, à lui seul, permet d’expliquer l’érosion de l’ordre international aujourd’hui.
Sur Internet, la distance entre deux points est réduite à néant. Vous pouvez être à l’autre bout du monde par rapport à une personne, mais, numériquement, vous n’êtes séparés que d’un clic. Deux interlocuteurs peuvent partager le même espace virtuel, qu’ils soient extrêmement éloignés ou proches. La fin de la notion de distance est cruciale. Elle bouleverse de mille manières directes et indirectes des notions autrefois stables : souveraineté, sécurité, citoyenneté, identité nationale, ainsi que la frontière entre sphère intérieure et internationale.
Les télécommunications ont cessé d’être seulement un moyen de relier des lieux physiques pour devenir une destination en soi. Cet espace est désormais celui où nous passons une part croissante de notre existence — pour travailler, jouer ou rêver. C’est un espace social en expansion constante, sans frontières ni distances, où les tentatives des gouvernements de contrôler les interactions apparaissent moins comme des limites réelles que comme des obstacles appelés à être contournés.
Il en résulte que, tout comme l’Europe du XVIᵉ siècle a réorganisé l’ordre international autour de la diffusion de l’imprimerie et du commerce, nous réorganisons aujourd’hui le monde autour de l’expansion de cet espace numérique.
Et nous pouvons faire l’hypothèse que, dans les ruptures de nos années Vingt, nous nous rapprochons rapidement d’un moment de transformation profonde, où le consensus actuel des relations internationales entre États-nations sera bouleversé, à l’image de celui qui, à l’époque de Hugo Grotius, a vu naître les théories fondatrices du droit international encore en vigueur aujourd’hui.
Les humains ne sont déjà plus seuls dans l’espace numérique : nous le partageons avec des entités à la puissance souvent inconnue et dont l’identité réelle nous échappe, correspondant grosso modo à ce que les Grecs auraient appelé un daimôn : fragments de logiciels auto-exécutables allant de simples programmes accomplissant des tâches domestiques à des intelligences artificielles de plus en plus sophistiquées, capables d’interagir directement avec les internautes.
Dans la mythologie grecque, le daimôn désigne un esprit intermédiaire, parfois utile, souvent capricieux et ambigu, capable aussi bien de servir les desseins des humains que de leur jouer des tours. C’est ce terme, anglicisé en daemon, que les ingénieurs Unix reprennent dans les années 1960 pour qualifier une catégorie de programmes d’arrière-plan chargés d’assurer des fonctions essentielles du système.
Hors de toute métaphore, nous cohabitons déjà dans l’espace numérique avec ces daemons, qui ont aujourd’hui pris une nouvelle dimension. Les progrès rapides de l’intelligence artificielle ont transformé ces anciens programmes en une prolifération d’entités toujours plus brillantes et autonomes : de véritables habitants natifs du cyberespace, de plus en plus nombreux.
La question de savoir s’ils dépasseront un jour l’intelligence humaine reste ouverte, mais au rythme actuel, leur omniprésence dans l’ensemble de nos systèmes paraît acquise bien avant le milieu du siècle. Ces agents autonomes opèrent le plus souvent dans l’ombre, jusqu’au moment où, en excédant leur autorité, ils provoquent une erreur qui attire l’attention des opérateurs humains.
L’explosion démographique des agents autonomes constitue un risque majeur. L’histoire des conflits montre que les guerres peuvent naître d’une erreur d’interprétation ou de protocole. Rien n’exclut que la prochaine puisse être déclenchée par une faute commise par un agent d’IA, entraînant une cascade de catastrophes à la vitesse numérique.
Le miroir du contemporainGrotius a vécu à une époque marquée par la révolution de l’imprimerie, l’émergence de systèmes financiers complexes et les progrès spectaculaires des technologies maritimes, qui ont permis l’essor des réseaux océaniques. Faisant écho à la prédiction de Sénèque dans Médée, les océans ont desserré les liens du monde, passant de simples barrières à de vastes autoroutes commerciales et culturelles. Les idées ont fleuri, le commerce a explosé, de nouvelles institutions ont émergé, et les anciennes ont vacillé. Il n’est pas étonnant que Grotius ait consacré une grande partie de son œuvre au droit de la mer, établissant le principe fondamental du Mare Liberum, la liberté des mers.
Tout cela rappelle étrangement notre époque. Le cyberespace est la nouvelle autoroute océanique, et la finance numérique offre des instruments commerciaux inédits, pour le meilleur ou pour le pire.
Là où ils avaient la construction navale, nous avons la robotique, l’IA et l’exploration spatiale. Là où ils tissaient de nouveaux réseaux, nous construisons les nôtres. Là où la diffusion de l’imprimerie déclenchait des troubles sociaux, les médias numériques catalysent aujourd’hui des bouleversements profonds et rapides.
À l’époque, l’imprimerie — sous la forme des premières indulgences papales puis des tracts de Luther — a entraîné la Réforme protestante. Rome a perdu son monopole lorsque le christianisme s’est diversifié en d’innombrables nouvelles formes religieuses. Aujourd’hui, les médias numériques — et désormais l’IA — sont devenus un puissant outil de prosélytisme religieux, mais ce n’est qu’un début.
Grotius a été témoin du déclin des monarchies et des mutations de la souveraineté.
Aujourd’hui — d’une manière paradoxale — nous assistons au déclin de l’État-nation dans sa forme westphalienne, mais le débat sur ce qui va suivre n’en est qu’à ses débuts.
Un nouveau Grotius pour notre époque doit encore émerger, mais tout comme les monarchies ont autrefois perdu leur monopole sur le pouvoir étatique, les États-nations connaissent paradoxalement aujourd’hui un déclin similaire de l’exclusivité de leur pouvoir.
En réalité, le déclin de l’État-nation a commencé il y a huit décennies.
L’État-nation classique se définit avant tout par deux qualités : l’exclusivité et l’intégrité territoriale.
Avant la Seconde Guerre mondiale, l’exclusivité dont jouissaient les États-nations en tant que « personne » au yeux du droit international était évidente. Cette exclusivité a toutefois pris fin en 1948 avec la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui a ouvert la porte à la reconnaissance d’entités non étatiques en droit international. Depuis, leur place n’a fait que croître.
L’intégrité territoriale véritable a pris fin moins d’une décennie plus tard avec l’arrivée des premiers missiles balistiques intercontinentaux et des armes thermonucléaires. La capacité d’un missile balistique à tête nucléaire à rejoindre n’importe quel endroit sur la planète en quelques minutes rendait impossible la revendication d’une souveraineté territoriale totale par les États, et encore moins une sécurité absolue.
Cette érosion de l’ordre mondial classique a été accentuée par l’omniprésence sans frontières des médias numériques.
Mais il y a plus encore : l’émergence du cyberespace en tant que destination virtuelle à part entière crée une nouvelle dynamique territoriale étrange. Une entité souveraine nationale peut-elle exister véritablement dans l’espace numérique ?
La question se pose avec plus d’urgence encore, car le cyberespace s’apprête à devenir le point de départ de la formation des nouvelles entités souveraines à venir.
C’est là l’essence du nouveau moment « grotien » : l’ancien ordre se dissout tandis que son successeur émerge du chaudron bouillonnant des technologies exponentielles et de la diffusion continue des médias numériques au cœur de la société mondiale. Moment protéiforme, dont la forme finale reste indéterminée, il sera façonné au cours de la prochaine décennie, à l’instar de l’ordre qu’élaborèrent Grotius et ses contemporains au XVIIᵉ siècle.
La route qui mène de l’époque de Grotius à nos jours est jalonnée d’une succession de basculements du pouvoir. Et chacun de ces basculements se lit assez clairement : il suffit de regarder quel est le plus grand bâtiment au centre de la ville.
Au XIIIᵉ siècle, la cathédrale remplace le château. Le basculement se poursuit au XVᵉ siècle. À la fin du siècle, la cathédrale partage désormais le centre avec les édifices du pouvoir civil et du commerce. Ainsi, à Venise, le palais des Doges occupe la place Saint-Marc aux côtés de la basilique. Le prêtre, le prince et le marchand coexistent dans une symbiose productive, mais néanmoins fragile.
Au début du XVIᵉ siècle, juste avant la naissance de Grotius, cette nouvelle structure administrative continue d’évoluer, mêlant plus étroitement commerce et gouvernement. Un bon exemple en est le Stadhuis de Middelburg, aux Pays-Bas, qui prend toute son importance après les années 1520. Soulignant le lien entre gouvernement et commerce, il comprenait à l’origine une halle aux viandes à l’intérieur même de ses murs.
Fin XVIᵉ siècle, un nouvel édifice occupe la place centrale : le parlement. Aux Pays-Bas, ce fut le Binnenhof qui, en 1584, devint le siège du pouvoir de la République néerlandaise.
Faisons un saut jusqu’au XXᵉ siècle : le pouvoir bascule encore. Les capitales nationales s’ornent de vastes bâtiments comme symboles de puissance, mais un nouvel acteur vient contester cette suprématie : le siège social d’entreprise.
Symbole de ce tournant : l’Union Carbide Building, premier véritable gratte-ciel conçu comme siège d’une multinationale, érigé à Manhattan en 1960. La multinationale était née, et avec elle une nouvelle symbiose — fragile mais durable — entre pouvoir national et pouvoir privé. Charles Wilson, PDG de General Motors, en donnait déjà la formule devant le Congrès en 1953, peu avant le lancement du chantier : « Ce qui est bon pour General Motors est bon pour le pays. »
L’échelle urbaine et le modèle de la cité-ÉtatNous avons assisté à une progression séculaire, du château à la corporation puis au Capitole, en passant par des phases successivement religieuses, civiques, politiques et économiques. La question est désormais la suivante : quelle sera la prochaine forme dominante ?
Une hypothèse évidente est celle de l’essor des cités-États — une forme de « dévolution » quasi naturelle de l’ordre westphalien des États-nations. L’idée n’est pas nouvelle : Kenichi Ohmae en proposait déjà une articulation dans les années 1990, et, de fait, les cités-États, comme modèle de gouvernance, ont précédé l’avènement des États-nations
2 .Les cités-états existantes aujourd’hui se répartissent en deux catégories : les cités-États souveraines de jure, comme Singapour, qui dispose d’un siège à l’ONU ; et les cités-états de facto, entités qui existent au sein d’un État-nation sans statut international indépendant, mais qui exercent néanmoins un pouvoir économique, culturel et politique considérable. Ainsi, si la région de la baie de San Francisco était un pays indépendant, elle serait la dix-huitième économie mondiale
3 .Mais la puissance des cités-États ne réside pas seulement dans leur force économique : elle tient surtout à l’échelle. Elles sont efficaces parce qu’elles sont assez puissantes pour exercer une influence économique et culturelle mondiale, tout en restant suffisamment compactes pour que leur population conserve une identité sociale cohérente. Il n’est donc pas surprenant que les cités-États de facto soient aujourd’hui les principaux moteurs économiques des nations.
Les régions urbaines — les fameuses « méga-régions » — constituent désormais des contributeurs majeurs au pouvoir et à l’identité nationale. Mais elles sont aussi une source de tensions, car leur montée en influence fragilise la stabilité de l’ordre étatique à mesure qu’elles cherchent à accroître leur poids politique et économique au sein même de leur État.
Aux États-Unis, une grande partie des fractures actuelles oppose les populations urbaines, libérales et concentrées dans des méga-régions hautement productives, aux populations rurales plus dispersées, mais dotées d’un grand pouvoir politique en raison des spécificités du système bicaméral et du collège électoral
Les méga-régions aux États-Unis ont longtemps cherché à accroître leur indépendance de Washington.
Le récent protocole d’accord signé entre l’État de l’Illinois et le Royaume-Uni, sous l’impulsion du gouverneur Pritzker, en est un excellent exemple
4. L’on pourrait aussi considérer les démarches engagées par le gouverneur de Californie, Gavin Newsom, visant à conclure des accords avec d’autres nations à l’étranger
5. Il ne s’agit ni d’une nouveauté, ni d’un acte de rébellion politique. Il y a plus de quinze ans, le gouverneur républicain de Californie, Arnold Schwarzenegger, avait déjà conclu des accords avec le Japon
6 et d’autres pays, en opposition directe avec le président Bush.La Californie est révélatrice à un autre égard : plus de deux cents tentatives ont été menées pour scinder cet État en deux, voire en plusieurs entités distinctes. Toutes ont rapidement échoué, à l’exception d’une en 1915, qui avait failli aboutir avant d’être contrecarrée par l’achèvement de la Ridge Route, reliant le nord et le sud de l’État. Or, ces velléités de partition n’ont pas disparu. Dans le climat politique actuel, certains groupes mécontents, en Californie comme dans d’autres États, vont jusqu’à envisager la sécession pure et simple des États-Unis.
Aucune de ces initiatives n’est susceptible de réussir à court terme, mais la technologie numérique renforce la crédibilité de l’idée. Qu’elles deviennent ou non le modèle d’un nouvel ordre international, les cités-États contribuent indéniablement à l’érosion de la cohérence des États-nations.
Le paradigme du Network State dans le nouvel ordre mondialJe travaille sur le futur et j’ai appris à prêter une attention particulière aux curiosités apparemment mineures, aux anomalies qui, parce qu’elles semblent déplacées, peuvent indiquer de profonds changements se profilant à l’horizon.
Par exemple, personne ne lit jamais les clauses des contrats imprimés en tout petit sur les boîtes de logiciels ou celles auxquelles on adhère dans le cadre de l’achat d’un nouveau téléphone mobile.
Pourtant, même si vous n’utilisez pas le service Starlink d’Elon Musk, lire les petits caractères est éclairant.
Voici l’article 11 d’un contrat type de Starlink, valable en France7:
DROIT APPLICABLE ET LITIGES
Pour les Services fournis à, sur ou en orbite autour de la planète Terre ou la Lune, le présent Contrat et tout litige relatif au présent Contrat, (les « Litiges ») seront régis et interprétés conformément aux lois françaises, et soumis à la compétence exclusive des tribunaux français. Pour les Services fournis sur Mars ou en transit vers Mars via Starship ou un autre engin spatial, les parties reconnaissent Mars comme une planète libre et conviennent qu’aucun gouvernement terrestre n’a d’autorité ou de souveraineté sur les activités martiennes. En conséquence, les litiges seront réglés par le biais de principes autonomes, établis de bonne foi, au moment de l’établissement de la colonie martienne.
Ceci constitue, bien sûr, un signe manifeste que Musk prend au sérieux son projet de colonisation de Mars. Mais ce n’est là qu’une facette de l’histoire et, pour l’avenir de l’ordre international, sans doute la moins déterminante. Car Elon Musk nourrit aussi d’immenses ambitions en matière de gouvernance terrestre — et il n’est pas le seul.
La notion de « Network State » — un hybride entre cyberespace et territoire physique — circule depuis près de vingt ans.
Ses partisans la définissent de la manière suivante : « Un Network State est une entité géographiquement décentralisée, reliée par Internet, conçue comme un archipel mondial de territoires physiques. Sa croissance repose sur un plébiscite permanent, attirant des migrants unis par une communauté d’idées et de valeurs. »
8Autrement dit, un Network State existe simultanément comme entité unitaire dans l’espace numérique et comme présence physique sur la surface de la planète sous la forme de multiples territoires physiques non contigus.
Il convient de souligner qu’il ne s’agit pas d’une vision unique : il pourrait y avoir des dizaines, voire des centaines de Network States, chacun centré sur un thème ou un objectif commun.
Ainsi, un Network State pourrait fédérer les partisans de la vie éternelle, un autre les passionnés de crypto-monnaies, un autre encore les amateurs de films Disney — ou tout autre centre d’intérêt imaginable.
Puisque le cyberespace est potentiellement infini et que certains promoteurs des Network States envisagent déjà de peupler des stations spatiales, d’explorer la Lune ou de coloniser Mars, il y aurait, en théorie, suffisamment d’espace pour donner corps aux rêves de chacun.
Cette idée a longtemps semblé si farfelue qu’elle a suscité peu ou pas d’attention en dehors d’une petite communauté d’adeptes. Pourtant, elle bénéficie depuis longtemps du soutien de personnalités riches et influentes de la Silicon Valley, notamment Elon Musk et Peter Thiel. Ce dernier a consacré d’importantes ressources au développement du concept de Network State et à sa promotion comme proposition sérieuse.
En particulier, Thiel a soutenu Curtis Yarvin, philosophe autodidacte au regard obscur, dont les idées radicales séduisent étonnement les libertariens technophiles qui investissent massivement dans la Silicon Valley. Parmi ses convictions, Yarvin estime que la démocratie est condamnée en raison de son inefficacité et qu’elle devrait être remplacée par une « monarchie éclairée » profondément anti-démocratique.
Elon Musk et Peter Thiel ont une longue histoire commune, marquée par la cofondation de PayPal au tournant des années 2000. Aujourd’hui, le service apparaît comme un outil anodin, permettant notamment d’acheter facilement des objets d’occasion sur eBay. Mais, à l’origine, l’ambition affichée par Musk et Thiel était bien plus radicale : « créer une monnaie Internet pour remplacer le dollar »
9 .Lorsqu’on examine leurs activités récentes, on constate que des projets apparemment disparates et sans lien s’inscrivent en réalité dans un puzzle radical, orienté vers la création d’un Network State.
Musk a par exemple œuvré pour que les États-Unis se retirent de tous les traités spatiaux auxquels ils ont adhéré — y compris le Traité sur l’espace extra-atmosphérique et les traités relatifs aux missiles balistiques. Il souhaite également que les États-Unis se retirent de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer
10 .L’idée consiste à remplacer l’ordre international institutionnel par un ordre libertarien radical, centré sur les individus et les entités privées. Il s’agit d’un bouleversement profond, visant rien de moins que la disparition complète de l’ordre international d’après-guerre tel qu’il avait été conçu à Bretton Woods.
Peter Thiel nourrit des visions tout aussi radicales, qu’il a déjà tenté de concrétiser avec des succès variables. Il y a deux décennies, il a financé le Seasteading Institute, qui proposait de créer un paradis libertarien pour programmeurs sur un navire de croisière situé hors de toute juridiction nationale, au large de la Californie. Les expérimentateurs ont rapidement découvert que même les libertariens souffrent du mal de mer. Néanmoins, le Seasteading Institute reste actif et se concentre désormais sur la recherche de partenariats juridiques avec de petits États du Pacifique. Si cette approche réussit, ces enclaves physiques pourraient devenir des composantes d’un Network State.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier le plus grand succès de Thiel, la société de surveillance et d’exploitation de données Palantir. Avec l’ambition affichée de devenir « le système d’exploitation de l’Amérique » et ses liens étroits avec l’administration Trump, il n’est pas difficile d’imaginer où elle pourrait s’insérer dans une tentative de construire un nouvel ordre mondial basé sur le Network State.
La longue durée du Network StateCe n’est pas la première fois que de petits groupes tentent de fonder des micronations indépendantes des États-nations dominants.
On peut citer quelques unes des tentatives les plus célèbres : — La République de MinervaProclamée en 1971 comme nation indépendante dans une zone reculée du Pacifique, ses fondateurs avaient tenté d’établir une présence sur les récifs Minerva, dans le sud-ouest du Pacifique, mais ont été rapidement stoppés par les Tonga, dont l’armée avait chassé les colons potentiels. Les récifs Minerva ont depuis presque totalement disparu, victimes de la montée du niveau de la mer.
— La Principauté de SealandMicronation non reconnue installée sur un ancien fort maritime de la Seconde Guerre mondiale au large de l’Angleterre, elle a survécu plus longtemps que la République de Minerva, notamment comme station de radio pirate bénéficiant d’un public fidèle. Elle existe toujours comme micronation autoproclamée, mais constitue plus une curiosité qu’une véritable entité publique.
— La Monarchie constitutionnelle d’AbaloniaElle fut l’une des deux tentatives visant à établir une micronation indépendante sur le Cortes Bank, un banc de sable immergé à 2,5 mètres sous le niveau de la mer au large de la Californie, à 150 kilomètres à l’ouest de San Diego. Les conditions météorologiques extrêmes et les fortes vagues dans la zone ont détruit toutes les tentatives de construction d’une structure permanente — une barge en béton aujourd’hui coulée — sur le banc 11
.Au regard de ces tentatives — et de tant d’autres — de création de micronations échouées, l’idée de bâtir un Network State doté d’un territoire physique pourrait paraître chimérique.
Mais cette fois, la situation semble différente : l’accélération numérique pourrait bien changer la donne. Les réseaux numériques offrent en effet le socle potentiel d’un Network State, et Starlink — infrastructure clé des communications globales, construite et contrôlée par Elon Musk — pourrait en devenir une pièce maîtresse. Plus largement, la technologie numérique ouvre la possibilité d’un amplificateur de puissance sans précédent pour de petits groupes décidés à se séparer du reste.
Les citoyens d’un Network State peuvent laisser leur cœur dans le cyberespace, mais ils doivent tout de même dormir quelque part, et au moins jusqu’à ce que Musk colonise Mars ou construise une station spatiale. Cela implique des biens immobiliers quelque part sur la surface de la Terre.
C’est là qu’interviennent les « Freedom Cities » — une idée défendue par le président Trump lors de sa campagne l’an dernier
12 .L’idée est de créer des zones semi-autonomes exemptes de régulations étatiques et fédérales qui, selon leurs promoteurs, deviendraient des centres de créativité et d’innovation.
Il se trouve que plusieurs tentatives pour créer ces zones autonomes étaient déjà en cours plusieurs années avant l’intérêt exprimé par Trump pour le concept.
En Californie, juste au nord de San Francisco, un groupe énigmatique se faisant appeler « California Forever », soutenu par des milliardaires de la Silicon Valley, il a acheté 80 000 acres dans le comté rural de Solano
13. Le projet consiste à bâtir une vaste nouvelle communauté qui, à la lecture entre les lignes de leurs documents promotionnels, ressemble beaucoup à une Freedom City.
Ailleurs, l’administration Trump a proposé de retirer le Presidio de San Francisco du système des parcs nationaux et de le confier à des investisseurs privés afin de créer une nouvelle ville à la limite du Golden Gate
14 .Mais le candidat le plus évident pour devenir une Trump Freedom City reste Washington elle-même — le District de Columbia — qui, en raison de son statut particulier de district gouverné par le Congrès, est particulièrement susceptible de voir son statut modifié unilatéralement pour devenir une entité quasi-indépendante
15 .En réalité, lorsqu’on l’examine à travers le prisme du Network State/Freedom City, une grande partie de ce qui semble être des actions aléatoires de l’administration Trump s’inscrit dans un schéma inquiétant.
Pour créer avec succès un nouvel ordre mondial de Network State, la première tâche doit être d’affaiblir les nations les plus puissantes, celles qui sont les plus susceptibles de gêner la création de ces Network States.
À cet égard, la droite conservatrice américaine s’est alignée sur cet objectif depuis très longtemps. En 2001, l’activiste conservateur Grover Norquist déclarait déjà : « Je ne veux pas abolir le gouvernement. Je veux simplement le réduire à une taille où je peux le traîner dans la salle de bain et le noyer dans la baignoire »
16 .Les Network States ne sont pas une fatalité — mais une tendance et un symptôme
Les partisans des Network States, tels que Yarvin, Thiel ou Musk, cherchent à nous persuader que leur vision est la seule voie possible.
Mais rien n’est plus dangereux que quelqu’un capable de repérer avec justesse les tendances tout en laissant ses enthousiasmes personnels obscurcir sa perception de l’éventail complet des possibles.
La vision du Network State n’est rendue possible que par la brutalité de bouleversement d’un ordre international centré sur les États-nations et autrefois stabilisé par la révolution numérique et ses conséquences — de la création du cyberspace aux effets des technologies exponentielles accélérées. En résulte une séquence protéiforme où toutes les parties de l’ancien ordre subsistent, mais où la matrice reliant ces éléments en un ordre cohérent se dissout.
Hugo Grotius aurait immédiatement reconnu ce moment comme analogue à celui où il repensa l’organisation du monde, alors que la révolution de l’imprimerie et la myriade d’innovations technologiques et commerciales de la fin du XVIᵉ siècle transformaient le visage de l’Europe et, bientôt, celui du monde entier.
Nous devons envisager la perspective d’un futur Network State non pas comme une fatalité, mais comme un indicateur de l’ampleur des transformations en cours. C’est un moment où il nous faut réfléchir de manière systématique à l’ensemble des mondes possibles susceptibles d’émerger de ces incertitudes. Il s’agit ensuite d’identifier et de défendre le nouveau cadre international qui permettra à l’humanité de réaliser ses aspirations les plus élevées et de bâtir un monde que nous souhaiterions léguer à nos enfants et petits-enfants.
Peut-être verra-t-on émerger un nouveau Grotius du XXIᵉ siècle, capable de nous guider à travers les brumes de ce nouveau territoire cybernétique, à l’instar de ce qu’Hugo de Groot, humaniste, érudit et juriste, avait accompli il y a quatre siècles.
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Hal D. Stewart, « Pair Planning Island Nation off San Diego », The Pasadena Independent, 31 octobre 1966.
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Katie Dowd, « In shock move, California Forever pulls measure to build Bay Area city », SFGATE, 22 juillet 2024.
Tara Nugga, Nora Mishanec, « What Trump’s executive order to gut the Presidio Trust means for the national park », San Francisco Chronicle, 20 février 2025.
Caroline Haskins, Vittoria Elliott, « ‘Startup City’ Groups Say They’re Meeting Trump Officials to Push for Deregulated ‘Freedom Cities’ », Wired, 7 mars 2025.
Mara Liasson, « Conservative Advocate », NPR, 25 mai 2001. # # # # # # # # ENGLISH (GOOGLE TRANSLATE) # # # # # # # # The New Moment GrotiusThe dislocation of the international order could have only a cause as simple as it is profound: nation-states do not hold in the digital space.
From the planet Mars to Westphalia, Thiel and Trump, one of Silicon Valley’s most original intellectuals is making a new map of the Earth in the artificial intelligence era.
Coins of doctrine AI powers Paul Saffoo 22 August 2025To understand the major geopolitical transformations under way and identify new trends, take advantage of our 8 euro monthly discovery offer
The digital revolution is not new. Its story began a little over 75 years ago, but its pace has changed, accelerating. The scale of technological innovations, as well as the extent of their repercussions, have come to transform the structure of the international order, by unlocking its cornerstone: the nation-state.
It is not enough to see this collapse. The beginnings of a new order appear. To understand this change, two factors are crucial. It is first of all a question of identifying the indicators already visible, then of analysing the dynamics of these changes in the light of similar transitions in the past in order to apprehend those which are not yet visible.
As Mark Twain summed it up, “the story does not repeat itself, but it rhymes.” Even in times of radical upheaval, the deep forces at work often have an astonishing continuity from one revolution to another.
Between war and peaceThis moment bears a striking resemblance to the events that followed another technical and media revolution, corresponding to the rise of printing between the 16th and 17th centuries.
To understand how these media innovations have disrupted the international order, one figure is needed: Hugo Grotius.
Born in Delft in 1582 and died in Rostock in 1645, Hugo de Groot – known Grotius – has gone through a period of dizzying transformations reminiscent of the one we find ourselves in.
In his long life, this Dutch humanist and jurist experienced the printing revolution, the Copernican revolution, the Thirty Years’ War, and especially the Peace of Westphalia, this founding treaty of the international order based on the modern nation-state.
Grotius is rightly regarded as the father of public international law. Noting the erosion – fuelled by printing and trade – of the monarchical order, he developed a theory of the state and laid the foundations for a system for organizing their relations.
American Professor of International Law Richard Falk spoke of "magnary moment"
1 1to describe a period of paradigmatic upheaval, during which new rules and doctrines of customary international law emerge with unusual speed.
We can see us today as we are going through a new Grotius moment, driven by the emergence of digital media in the same way that printing disrupted Europe in the 16th century. The parallels between these two revolutions are striking. However, what characterizes this new moment is a decisive factor which, on its own, makes it possible to explain the erosion of the international order today.
On the Internet, the distance between two points is reduced to zero. You can be on the other side of the world compared to one person, but, numerically, you're only separated by one click. Two interlocutors can share the same virtual space, whether they are extremely distant or close. The end of the concept of distance is crucial. It disrupts in a thousand direct and indirect ways the concepts that were once stable: sovereignty, security, citizenship, national identity, as well as the boundary between the inner and international spheres.
Telecommunications have ceased to be only a means of connecting physical places to become a destination in itself. This space is now the place where we spend an increasing share of our lives - to work, to play or to dream. It is a constantly expanding social space, without borders or distances, where governments’ attempts to control interactions appear less as real limits than as barriers to be bypassed.
As a result, just as Europe in the 16th century has reorganised the international order around the spread of printing and commerce, we are now reorganizing the world around the expansion of this digital space.
And we can assume that, in the breaks of our 20s, we are rapidly approaching a moment of profound transformation, when the current consensus of international relations between nation states will be disrupted, like the one who, in the time of Hugo Grotius, saw the birth of the founding theories of international law still in force today.
Humans are no longer alone in digital space: we share it with entities with often unknown power and whose real identity escapes us, corresponding roughly to what the Greeks would have called a desit: fragments of self-executable software ranging from simple programs performing domestic tasks to increasingly sophisticated artificial intelligences, capable of interacting directly with Internet users.
In Greek mythology, daimôn refers to an intermediate spirit, sometimes useful, often capricious and ambiguous, capable of serving both the designs of humans and playing tricks upon them. It was this term, anglicized in daemon, that Unix engineers used in the 1960s to qualify a category of background programs tasked with performing essential functions of the system.
Out of all metaphors, we already live in the digital space with these daemons, which have now taken on a new dimension. The rapid advances in artificial intelligence have turned these old programs into a proliferation of ever-glomerized and more autonomous entities: more and more native cyberspace.
La question de savoir s’ils dépasseront un jour l’intelligence humaine reste ouverte, mais au rythme actuel, leur omniprésence dans l’ensemble de nos systèmes paraît acquise bien avant le milieu du siècle. Ces agents autonomes opèrent le plus souvent dans l’ombre, jusqu’au moment où, en excédant leur autorité, ils provoquent une erreur qui attire l’attention des opérateurs humains.
L’explosion démographique des agents autonomes constitue un risque majeur. L’histoire des conflits montre que les guerres peuvent naître d’une erreur d’interprétation ou de protocole. Rien n’exclut que la prochaine puisse être déclenchée par une faute commise par un agent d’IA, entraînant une cascade de catastrophes à la vitesse numérique.
The Mirror of the ContemporaryGrotius lived in a time marked by the printing revolution, the emergence of complex financial systems and the dramatic advances in maritime technologies, which led to the development of ocean networks. Echoing Seneca's prediction in Medea, the oceans have loosened the world's ties, moving from simple barriers to vast commercial and cultural highways. Ideas have flourished, trade has exploded, new institutions have emerged, and the old ones have wavered. It is not surprising that Grotius devoted much of his work to the law of the sea, establishing the fundamental principle of Mare Liberum, the freedom of the seas.
All of this is strangely reminiscent of our time. Cyberspace is the new ocean highway, and digital finance offers new commercial instruments for better or for worse.
Là où ils avaient la construction navale, nous avons la robotique, l’IA et l’exploration spatiale. Là où ils tissaient de nouveaux réseaux, nous construisons les nôtres. Là où la diffusion de l’imprimerie déclenchait des troubles sociaux, les médias numériques catalysent aujourd’hui des bouleversements profonds et rapides.
À l’époque, l’imprimerie — sous la forme des premières indulgences papales puis des tracts de Luther — a entraîné la Réforme protestante. Rome a perdu son monopole lorsque le christianisme s’est diversifié en d’innombrables nouvelles formes religieuses. Aujourd’hui, les médias numériques — et désormais l’IA — sont devenus un puissant outil de prosélytisme religieux, mais ce n’est qu’un début.
Grotius a été témoin du déclin des monarchies et des mutations de la souveraineté.
Aujourd’hui — d’une manière paradoxale — nous assistons au déclin de l’État-nation dans sa forme westphalienne, mais le débat sur ce qui va suivre n’en est qu’à ses débuts.
Un nouveau Grotius pour notre époque doit encore émerger, mais tout comme les monarchies ont autrefois perdu leur monopole sur le pouvoir étatique, les États-nations connaissent paradoxalement aujourd’hui un déclin similaire de l’exclusivité de leur pouvoir.
En réalité, le déclin de l’État-nation a commencé il y a huit décennies.
The classical nation-state is defined above all by two qualities: exclusivity and territorial integrity.
Before World War II, the exclusivity enjoyed by nation states as “person” in the eyes of international law was obvious. This exclusivity, however, ended in 1948 with the Universal Declaration of Human Rights, which opened the door to the recognition of non-State entities under international law. Since then, their place has only grown.
Genuine territorial integrity ended less than a decade later with the arrival of the first intercontinental ballistic missiles and thermonuclear weapons. The ability of a nuclear-armed ballistic missile to reach any place on the planet in a matter of minutes made it impossible to claim total territorial sovereignty by states, let alone absolute security.
This erosion of the classic world order has been accentuated by the ubiquity of digital media without borders.
Mais il y a plus encore : l’émergence du cyberespace en tant que destination virtuelle à part entière crée une nouvelle dynamique territoriale étrange. Une entité souveraine nationale peut-elle exister véritablement dans l’espace numérique ?
La question se pose avec plus d’urgence encore, car le cyberespace s’apprête à devenir le point de départ de la formation des nouvelles entités souveraines à venir.
This is the essence of the new “groan” moment: the old order dissolves as its successor emerges from the boiling cauldron of exponential technologies and the continued diffusion of digital media at the heart of global society. A protean shape, the final form of which remains indeterminate, it will be shaped over the next decade, as did the order that Grotius and his contemporaries were made in the 17th century.
Reconnaître les lieux de pouvoirThe road from Grotius to the present day is marked by a succession of power shifts. And each of these tippings reads quite clearly: just look at which is the largest building in the center of the city.
In the 13th century, the cathedral replaced the castle. The tilting continues in the 15th century. At the end of the century, the cathedral now shares the centre with the buildings of civil power and trade. Thus, in Venice, the Doge's Palace occupies St. Mark's Square alongside the basilica. The priest, the prince and the merchant coexisted in a productive but nevertheless fragile symbiosis.
At the beginning of the 16th century, just before Grotius's birth, this new administrative structure continued to evolve, mixing more trade and government. A good example of this is the Stadhuis in Middelburg, the Netherlands, which takes on its best after the 1520s. Highlighting the link between government and trade, it originally included a meat hall within its walls.
At the end of the 16th century, a new building occupies the central square: the parliament. In the Netherlands, it was the Binnenhof, which in 1584 became the seat of power of the Dutch Republic.
Let us make a leap to the twentieth century: power is still swinging. National capitals adorn vast buildings as symbols of power, but a new actor challenges this supremacy: the company’s head office.
Symbol of this turning point: the Union Carbide Building, the first true skyscraper designed as the headquarters of a multinational company, erected in Manhattan in 1960. The multinational was born, and with it a new - fragile but sustainable - symbiosis between national and private power. Charles Wilson, CEO of General Motors, was already giving the formula to Congress in 1953, shortly before the launch of the project: "What is good for General Motors is good for the country. ”
The urban scale and the city-state modelWe have seen an age-old progression, from the castle to the corporation and then to the Capitol, through successively religious, civic, political and economic phases. The question now is: what will be the next dominant form?
An obvious hypothesis is that of the rise of city-states a form of quasi-natural “devolution” of the Westphalian order of nation-states. The idea is not new: Kenichi Ohmae already proposed an articulation in the 1990s, and, indeed, city-states, as a model of governance, preceded the advent of nation states.
2 .The existing cities-states today fall into two categories: sovereign city-states. de jure, like Singapore, which has a seat at the United Nations; and the city-states de factoentities that exist within a nation-state without independent international status but nevertheless exercise considerable economic, cultural and political power. Thus, if the San Francisco Bay Area were an independent country, it would be the eighteenth world economy.
3 .But the power of city-states does not lie solely in their economic strength; it is above all on a scale. They are effective because they are powerful enough to exert global economic and cultural influence, while remaining compact enough for their people to retain a coherent social identity. So it is not surprising that de facto city-states are today the main economic engines of nations.
Urban regions – the so-called “mega-regions” – are now major contributors to power and national identity. But they are also a source of tension, because their surge in influence undermines the stability of the state order as they seek to increase their political and economic weight within their own state.
In the United States, much of the current divides between urban, liberal and concentrated populations in highly productive mega-regions, with more dispersed rural populations, but with great political power because of the specificities of the bicameral system and the electoral college.
Mega-regions in the United States have long sought to increase their independence from Washington.
The recent Memorandum of Understanding between the State of Illinois and the United Kingdom, led by Governor Pritzker, is an excellent example of this.
4. Consideration could also be given to the steps taken by the Governor of California, Gavin Newsom, to reach agreements with other nations abroad.
5. This is neither a novelty nor an act of political rebellion. More than fifteen years ago, the Republican Governor of California, Arnold Schwarzenegger, had already entered into agreements with Japan.
6 and other countries, in direct opposition to President Bush.California is revealing in another respect: more than two hundred attempts have been made to divide the State into two or even several separate entities. All quickly failed, with the exception of one in 1915, which had nearly ended before being thwarted by the completion of the Ridge Route, connecting the north and south of the state. However, these inclinations of partitions have not disappeared. In the current political climate, some dissatisfied groups, in California, as in other states, go so far as to contemplate the sheer secession of the United States.
None of these initiatives is likely to succeed in the short term, but digital technology enhances the credibility of the idea. Whether or not they become the model of a new international order, city-states undeniably contribute to the erosion of the coherence of nation-states.
The Network State paradigm in the new world orderI work on the future and have learned to pay particular attention to seemingly minor curiosities, anomalies that, because they seem to be displaced, may indicate profound changes on the horizon.
For example, no one ever reads the terms of contracts printed in a small print on software boxes or those to which one adheres to the purchase of a new mobile phone.
However, even if you are not using Elon Musk’s Starlink service, reading the small print is illuminating.
This is Article 11 of a standard Starlink contract valid in France 7 ::
APPLICABLE AND ITALMENT RIGHT
For the Services provided to, in or in orbit around planet Earth or the Moon, this Contract and any dispute relating to this Contract, (the “Litigations”) shall be governed and interpreted in accordance with French laws, and subject to the exclusive jurisdiction of the French courts. For Services provided on Mars or in transit to Mars via Starship or another spacecraft, the parties recognize Mars as a free planet and agree that no land-based government has authority or sovereignty over Martian activities. Accordingly, disputes will be settled by autonomous principles, established in good faith, at the time of the establishment of the Martian colony.
This is, of course, a clear sign that Musk takes his Mars colonization project seriously. But this is only one facet of history and, for the future of the international order, perhaps the least decisive. Because Elon Musk also has huge ambitions for land-based governance – and he is not the only one.
The concept of “Network State” – a hybrid of cyberspace and physical territory – has been circulating for nearly two decades.
Its supporters define it as follows: “A Network State is a geographically decentralized entity, connected by the Internet, conceived as a global archipelago of physical territories. Its growth is based on a permanent plebiscite, attracting migrants united by a community of ideas and values. ”
8In other words, a Network State exists simultaneously as a unitary entity in digital space and as a physical presence on the surface of the planet in the form of multiple non-contiguous physical territories.
It should be emphasized that this is not a single vision: there could be dozens or even hundreds of Network States, each focused on a common theme or goal.
For example, one Network State could unite proponents of eternal life, another cryptocurrency enthusiasts, yet Disney movie enthusiasts – or any other imaginable focus of interest.
Since cyberspace is potentially infinite, and some Network States promoters are already contemplating populating space stations, exploring the Moon, or colonizing Mars, there would, in theory, be enough space to give substance to everyone’s dreams.
This idea has long seemed so far-fetched that it has attracted little or no attention outside a small community of followers. Yet it has long enjoyed the support of wealthy and influential figures from Silicon Valley, including Elon Musk and Peter Thiel. The latter has devoted significant resources to the development of the Network State concept and its promotion as a serious proposal.
In particular, Thiel supported Curtis Yarvin, a self-taught philosopher with an obscure gaze, whose radical ideas are astonishing astonishing tech-savvy libertarians who invest heavily in Silicon Valley. Among his beliefs, Yarvin believes that democracy is condemned because of its inefficiency and that it should be replaced by a deeply anti-democratic “enlightened monarchy.”
Elon Musk and Peter Thiel have a long common history, marked by the co-founding of PayPal at the turn of the 2000s. Today, the service appears to be an innocuous tool, making it possible in particular to easily purchase second-hand items on eBay. But, originally, Musk and Thiel’s ambition was far more radical: “Creating an Internet Currency to Replace the Dollar.”
9 .When we look at their recent activities, we see that seemingly disparate and unrelated projects are actually part of a radical puzzle, oriented towards the creation of a Network State.
For example, Musk had worked to ensure that the United States withdrew from all the space treaties to which it had acceded, including the Outer Space Treaty and the ballistic missile treaties. It also hopes that the United States will withdraw from the United Nations Convention on the Law of the Sea.
10 .The idea is to replace the international institutional order with a radical libertarian order, centred on individuals and private entities. This is a profound upheaval, aimed at nothing less than the complete demise of the post-war international order as conceived at Bretton Woods.
Peter Thiel has equally radical visions, which he has already tried to achieve with varying degrees of success. Two decades ago, he funded the Seasteading Institute, which proposed creating a libertarian paradise for programmers on a cruise ship outside any national jurisdiction off the coast of California. Experimenters quickly discovered that even libertarians suffer from seasickness. Nevertheless, the Seasteading Institute remains active and is now focusing on seeking legal partnerships with small Pacific States. If this approach succeeds, these physical enclaves could become components of a Network State.
Furthermore, we must not forget the greatest success of Thiel, the Palantir monitoring and data exploitation company. With the declared ambition to become America’s “business system” and its close ties with the Trump administration, it is not hard to imagine where it could be part of an attempt to build a new global order based on the Network State.
The long duration of the Network StateThis is not the first time that small groups have attempted to form micronations independent of the dominant nation-states.
Some of the most famous attempts can be mentioned: - The Republic of MinervaProclaimed in 1971 as an independent nation in a remote Pacific area, its founders attempted to establish a presence on the Minerva reefs in the southwest Pacific, but were quickly stopped by Tonga, whose army had driven out potential settlers. The Minerva reefs have since almost completely disappeared, victims of rising sea levels.
- The Principality of SealandUnrecognized micronation installed on an old World War II maritime fort off the coast of England, it survived longer than the Republic of Minerva, including as a pirate radio station with a loyal audience. It still exists as a self-proclaimed micronation, but is more a curiosity than a true public entity.
The Constitutional Monarchy of AbaloniaIt was one of two attempts to establish an independent micronation on the Cortes Bank, a sandbar dimmed 2.5 metres below sea level off California, 150 kilometres west of San Diego. Extreme weather conditions and strong waves in the area destroyed all attempts to build a permanent structure – a concrete barge now cast – on the bench
11 .In the light of these – and so many others – of creating failed micronations, the idea of building a Network State with physical territory may seem chimerical.
But this time, the situation seems different: numerical acceleration may well change the game. Digital networks offer the potential foundation of a Network State, and Starlink – a key infrastructure for global communications, built and controlled by Elon Musk – could become a centrepiece. More broadly, digital technology opens up the possibility of an unprecedented power amplifier for small groups determined to separate from the rest.
The citizens of a Network State can leave their hearts in cyberspace, but they still have to sleep somewhere, and at least until Musk colonizes Mars or builds a space station. This involves real estate somewhere on the Earth's surface.
This is where “Freedom Cities” – an idea championed by President Trump during his campaign last year
12 .The idea is to create semi-autonomous areas free of state and federal regulations that, according to their promoters, would become centres of creativity and innovation.
It turns out that several attempts to create these autonomous zones were already in progress several years before Trump’s interest in the concept.
In California, just north of San Francisco, an enigmatic group calling itself "Califore Forever," supported by Silicon Valley billionaires, it bought 80,000 acres in Solano's rural county.
13. The project is about building a vast new community that, by reading the lines of their promotional materials, is very similar to a Freedom City.
Elsewhere, the Trump administration has proposed to remove the San Francisco Presidio from the national park system and hand it over to private investors in order to create a new city on the edge of the Golden Gate.
14 .But the most obvious candidate to become a Trump Freedom City remains Washington itself – the District of Columbia – which, because of its special district status governed by Congress, is particularly likely to have its status unilaterally changed to become a quasi-independent entity.
15 .In fact, when examined through the Network State/Freedom City lens, much of what appears to be random actions by the Trump administration is part of a worrisome pattern.
To successfully create a new Network State World Order, the first task must be to weaken the most powerful nations, those most likely to hinder the creation of these Network States.
In this regard, the US conservative right has aligned itself with this goal for a very long time. In 2001, conservative activist Grover Norquist said, “I don’t want to abolish the government. I just want to reduce it to a size where I can drag it into the bathroom and drown it in the bathtub."
16/ . Network States are not inevitable - but a trend and a symptomSupporters of Network States, such as Yarvin, Thiel or Musk, seek to persuade us that their vision is the only way forward.
But nothing is more dangerous than someone who can accurately spot trends while letting their personal enthusiasm obscure their perception of the full range of possibilities.
The Network State’s vision is made possible only by the brutal upheaval of an international nation-state-centric order once stabilized by the digital revolution and its consequences – from the creation of cyberspace to the effects of accelerated exponential technologies. The result is a proteinform sequence where all parts of the old order remain, but where the matrix linking these elements in a coherent order dissolves.
Hugo Grotius would immediately have recognized this moment as analogous to the time when he rethought the organization of the world, while the printing revolution and the myriad technological and commercial innovations of the late 16th century were transforming the face of Europe and, soon, the face of the whole world.
We need to look at the prospect of a future Network State not as inevitable, but as an indicator of the scale of the transformations under way. This is a time when we need to think systematically about all possible worlds that can emerge from these uncertainties. It is then a question of identifying and defending the new international framework that will enable humanity to realize its highest aspirations and to build a world that we would like to leave to our children and grandchildren.
Perhaps we will see the emergence of a new Grotius of the twenty-first century, capable of guiding us through the mists of this new cyber territory, as was the case with the humanist, scholar and jurist Hugo of Groot, accomplished four centuries ago.
SourcesRichard Falk, et al.., “The Grotian Moment in International Law: A Contemporary Perspective”, Jurisprudence for a Solidarist World: Richard Falk’s Grotian Moment, 1985.
Kenichi Ohmae, The End of the Nation-State: The Rise of Regional Economies, New York, Simon and Schuster, 1995.
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"Gov. Pritzker Signs Memorandum of Understanding Between Illinois and the United Kingdom”, The State of Illinois Newsroom, 8 April 2025.
Laurel Rosenhall, “Newsom Will Seek Trade Deals That Spare California From Retaliatory Tariffs”, The New York Times, 4 April 2025.
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Starlink Internet Services Limited, Starlink Terms of Service (France), document No. DOC-1042-35310-55, viewed on the website Starlink, region France.
Balaji Srinivasan, The Network State: How To Start a New Country (self-published), 2022. Julian Guthrie, Entrepreneur Peter Thiel talks zero to One, SFGATE, 21 September 2014.
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J.J. Anselmi, “Trump’s 'Freedom Cities' Are a Devious Scam", The New Republic, 26 March 2025.
Katie Dowd, “In shock move, California Forever sweats measure to build Bay Area city”, SFGATE, 22 July 2024.
Tara Nugga, Nora Mishanec, “What Trump’s executive order to gut the Presidio Trust means for the national park”, San Francisco Chronicle, 20 February 2025.
Caroline Haskins, Vittoria Elliott, “Startup City” Groups Say They’re Meeting Trump Officials to Push for Deregulated “Freedom Cities”, Wired, 7 March 2025.
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