Louise Desrenards on Mon, 4 Jun 2012 19:57:55 +0200 (CEST)


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[Nettime-fr] Drogue et Politique etc.


Chers amis, de l'au-delà de l'Océan Atlantique et de ses organisations
collatérales... voici une petite traduction (on fait comme on le
sent:) pour nous rafraîchir la mémoire sur la question de la
pénalisation de la drogue et de ses conséquences au-delà du pour ou
contre, question qui alimente les prisons dans plusieurs pays du monde
et même ici... Allez, allez monsieur Valls : on dépénalise la
Marie-Jeanne !!

Nous de nettime, après tout relançons le débat !

Pour les photos de l'article et la vidéo en Post-Scriptum, voir en ligne :
http://www.criticalsecret.net/la-guerre-des-etats-unis-sur-l-amerique-latine,047.html

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------->   La guerre des États-Unis sur l’Amérique latine <--------
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ou : Carthagène au-delà du Scandale des Services Secrets *

lundi 4 juin 2012, par Noam Chomsky, Louise Desrenards (traduction)

Voici l’article de Chomsky sur le Sommet des Amériques tenu cette
année en Colombie, les 14 et 15 avril ; il permet d’informer en aval
des meilleurs articles français sur la question qui ne donnent pas un
point de vue infra-historique des raisons, tant en matière
d’isolationnisme politique que de politique de la drogue des
États-Unis, en sorte qu’ils se trouvent en partie contredits par le
rappel traduit ici [1].

« Lors du sommet de Carthagène [2], la guerre contre la drogue est
devenue une question clé à l’initiative du Président du Guatemala
nouvellement élu, le général Perez Molina, que personne ne pourrait
prendre pour un libéral au cœur tendre.  »

[ La photo officielle du Sommet des Amériques de Carthagène (cachée
tout en haut à gauche de l’image : Dilma Roussef). ]

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_

         Le mois dernier, le Sommet des Amériques de Carthagène, en
Colombie, fut un événement d’une importance considérable — bien qu’il
fut mis à l’écart par le scandale des Services Secrets [3]. Il y a
trois raisons principales : Cuba, la guerre contre la drogue, et
l’isolement des États-Unis [4].

Un titre dans l’Observateur de la Jamaïque décryptait : « Le Sommet
montre combien l’influence Yanqui a décliné ». Le récit rapporte que «
les grands articles à l’ordre du jour furent comment les pays de la
région entière purent se rencontrer en excluant cependant un pays
comme Cuba, et le trafic de la drogue lucratif et destructif. »

Les rencontres se terminèrent sans accord en raison de l’opposition
des États-Unis sur ces points : le bannissement de Cuba et la
politique de dépénalisation de la drogue. L’obstructionnisme continu
des États-Unis pourrait bien entraîner le déplacement de
l’Organisation des États Américains sous l’égide de la Communauté
nouvellement formée de l’Amérique latine et des Caraïbes, d’où les
États-Unis et le Canada seraient exclus.

Cuba avait consenti à ne pas assister au sommet parce qu’autrement
Washington l’aurait boycotté. Mais les rencontres rendirent évident
que l’intransigeance américaine n’allait pas être tolérée longtemps.
Les États-Unis et le Canada furent les seuls à s’opposer à la
participation cubaine en raison des violations des principes
démocratiques et des droits de l’homme à Cuba [5].

Les Latino-Américains peuvent évaluer ces accusations à la lueur d’une
large expérience. Ils sont familiers du dossier américain sur les
droits de l’homme. Cuba a particulièrement souffert des attaques
terroristes et de l’étranglement économique des États-Unis en guise de
punition pour son indépendance — son « défi réussi » à la politique
américaine renvoyant à la Doctrine Monroe [6].

Les Latino-Américains n’ont pas besoin de lire une bourse d’études des
États-Unis pour savoir que Washington soutient la démocratie si, et
seulement si, c’est conforme à ses objectifs stratégiques et
économiques, et même quand c’est le cas il préfère « un changement
démocratique aux tenants et aboutissants limités aux formes qui ne
risquent pas de renverser les structures traditionnelles du pouvoir, à
travers lesquelles les États-Unis sont depuis longtemps des alliés de
l’€ (l’Europe), [(dans) des sociétés parfaitement non démocratiques »,
comme l’expert néo-Reaganien Thomas Carothers l’indique.

Au sommet de Carthagène, la guerre de la drogue est devenue un
problème-clé, à l’initiative du président guatémaltèque nouvellement
élu, le général Perez Molina, que personne ne songerait à prendre pour
un libéral au coeur tendre. Il a été rejoint par l’hôte du sommet, le
Président colombien Juan Manuel Santos, et par d’autres.

La préoccupation n’est en rien nouvelle. Il y a trois ans la
Commission latino-américaine sur Les Drogues et la Démocratie publia
un rapport sur la guerre de la drogue, par les ex-présidents du
Brésil, Fernando Henrique Cardoso, du Mexique, Ernesto Zedillo, et de
la Colombie, Cesar Gaviria, appelant à décriminaliser la marijuana et
à traiter l’usage des drogues comme un problème de santé publique. [7]

De nombreuses recherches, y compris l’étude largement citée de la Rand
Corporation [8] en 1994, ont montré que la prévention et le traitement
étaient beaucoup plus rentables que les mesures coercitives qui
recevaient la majeure partie des financements. Bien sûr, ces mesures
non punitives sont également beaucoup plus humaines.

L’expérience est en conformité avec ces conclusions : de loin la
substance la plus mortelle est le tabac, qui tue aussi à un taux élevé
les non utilisateurs (tabagisme passif). L’usage a fortement diminué
parmi les couches les plus instruites, non comme le résultat de la
pénalisation, mais des changements de style de vie.

Un pays, le Portugal, a dépénalisé toutes les drogues en 2001 — ce qui
signifie techniquement qu’elles demeurent illégales mais sont
considérées comme des violations administratives extérieures au
domaine pénal. Une étude du Cato Institute [9], par Glenn Greenwald, a
établi que le résultat portait « un succès retentissant ». Dans ce
succès résident les leçons évidentes par elles-même qui devraient
guider les débats politiques sur les drogues dans le monde entier.

Dans un contraste saisissant, les procédures coercitives de la guerre
de 40 ans contre la drogue aux États-Unis n’ont eu pratiquement aucun
effet sur l’utilisation ou le prix des drogues aux États-Unis, tout en
créant des ravages à travers le continent. Le problème est
principalement aux États-Unis : à la fois la demande (pour les
drogues) et l’offre (des armes). Les Latino-Américains sont les
victimes immédiates, subissant des niveaux effroyables de violence et
de corruption, avec la dépendance qui se répand à travers les voies du
transit.

Quand des politiques sont poursuivies avec une consécration inlassable
pendant de nombreuses années et pour autant réputées avoir échoué en
termes d’objectifs proclamés, et les alternatives susceptibles d’être
beaucoup plus efficace sont systématiquement ignorées, naturellement
des questions se posent sur les motivations. Une procédure raisonnable
doit explorer les conséquences prévisibles. Celles-ci n’ont jamais été
obscures.

En Colombie, la guerre contre la drogue a été un prétexte pour couvrir
la contre-insurrection. La fumigation — une sorte de guerre chimique —
a détruit les récoltes et la riche biodiversité, et contribue à mener
aux bidonvilles des millions de paysans pauvres, à l’ouverture de
vastes territoires pour l’exploitation minière, à l’industrie
agro-alimentaire, aux ranchs et autres avantages au puissant.

D’autres bénéficiaires de la guerre de la drogue sont les banques qui
blanchissent des sommes massives d’argent. Au Mexique, selon des
chercheurs universitaires, les principaux cartels de la drogue sont
impliqués dans quatre vingt pour cent des secteurs productifs de
l’économie. Des développements semblables se produisent ailleurs.

Aux États-Unis, les premières victimes furent des afro-américains
mâles, et aussi de plus en plus des femmes et des Hispaniques — bref,
ceux devenus superflus par les changements économiques institués dans
les années 1970, qui déplacèrent l’économie dans la délocalisation de
la production et la financiarisation.

En grande partie grâce à la guerre contre la drogue — principal
facteur de la hausse radicale des incarcérations depuis les années
1980, ce qui est devenu un scandale international, — hautement
sélective, les minorités sont expédiées en prison. Le processus
ressemble à un « nettoyage social » dans les États Unis américains
client de l’Amérique latine, qui se débarrassent des « indésirables ».

L’isolement des États-Unis à Carthagène renvoie à d’autres
développements au tournant de la décennie passée, telle l’Amérique
Latine qui a enfin commencé à se dégager du contrôle des grandes
puissances y compris en s’attaquant à ses affreux problèmes internes.

Longtemps l’Amérique Latine a eu une tradition de jurisprudence
libérale et de rébellion contre l’autorité imposée. Le New Deal s’est
inspiré de cette tradition. Les Latino-Américains peuvent une fois
encore inspirer le progrès en matière des droits de l’homme aux
États-Unis.

Noam Chomsky



Pas de copyright ni de CC pour ce texte qui peut être lié et/ou cité
mais qui ne peut être copié — car traduit (rapidement) et publié par
Louise Desrenards sous réserve du copyright original du texte source
The US War on Latin America, © Reader Supported News, le 12 mai 2012
(d’après Cartagena beyond the Secret Service Scandal, © NationofChange
(The New York Times Company), le 8 mai 2012).



P.-S.

* Sur « le scandale des services secrets » (réfère au sous-titre :
Carthagène au-delà du Scandale des Services secrets, titre de
l’article original de Chomsky dans Nation of Change) :

Lors du Sommet des Amériques à Carthagène, au milieu du mois d’avril,
plusieurs membres des services secrets américains de l’escorte
personnelle d’Obama (une douzaine d’hommes seraient concernés et
certains durent démissionner) auraient acheté les services de
prostituées de luxe. Au terme de la nuit ces hommes auraient refusé de
payer le montant convenu, ce qui aurait causé la venue de la police.
Puis l’affaire publiée dans la Presse déclencha un scandale ; à peu de
temps des élections présidentielles aux États-Unis cela valut à l’une
des victimes son interview par un envoyé du New York Times pour
édifier l’article paru le 18 avril, dans la rubrique Americas (suivre
le lien). Article que la journaliste Ani Basar a choisi de citer dans
son résumé de l’affaire pour le site de BFMTV, Scandale à Carthagène :
une prostituée prend la parole (auquel on peut se reporter en suivant
le lien), accompagné de cette vidéo (extraite de l’article cité) :

http://www.bfmtv.com/scandale-a-carthagene-une-prostituee-prend-actu26538.html



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 Illustrations :

La photo officielle du Sommet est extraite de l’article Dépénaliser
les drogues en Amérique du Sud ? Le débat avance sur le continent dans
Rue89 (Blog « Alma Latina » de Cristina L’Homme).

Le logo est une citation de l’article Des agents secrets font des
misères à Obama (20minutes.ch, Actualités, Sommet des Amériques, Photo
Keystone/AP).

 Autres liens :

Le peuple se hisse aux sommets colombiens (Blog « Blessures
colombiennes » de Timothée L’Angevin).

CARTHAGENE - Obama interpellé sur Cuba et la drogue au sommet des
Amériques (20minutes.fr, Monde).

Le VIe Sommet des Amériques mesure le déclin des États-Unis, par
Christian Galloy (latinreporters.com).


Notes

[1] Chomsky avait déjà cité ce Sommet dans son entretien avec Laura
Flanders dont La RdR a publié la traduction ici (suivre le lien), dans
sa réponse à la question : Les comparaisons avec le Printemps arabe
sont-elles utiles ?

[2] Donc il s’agit bien du VIe Sommet des Amériques (suivre le lien)
qui s’est tenu récemment à Carthagène-en-Inde, en Colombie, les 14 et
15 avril 2012, entre les chefs d’État des pays d’Amérique latine et
ceux d’une partie de l’Amérique caraïbe, et ceux de l’Amérique du nord
; trente trois États étaient représentés.

[3] Ibid. Se reporter à la note « * » en Post-Scriptum.

[4] Isolement iinauguré par sa politique isolationniste depuis James
Monroe (voir note 3)

[5] Dans son article pour Radio Havane Cuba du 17 avril (cité et lié
en Post Scriptum), Tania Hernández remarque que les Présidents de
l’Équateur [Rafael Vicente Correa se déclarant solidaire avec Raul
Castro s’est désisté], du Venezuela [pour des raisons médicales Hugo
Chavez n’a pu se rendre au Sommet mais son pays État était
représenté], et du Nicaragua [représenté], étaient également absents.
On pourrait ajouter le Président d’Haïti [mais lui aussi était
représenté].

[6] Le cinquième Président des États-Unis, James Monroe (républicain),
déclara dans un discours au Congrès, le 2 décembre 1823, les
conditions respectives de l’autonomie et de l’indépendance des
États-Unis par rapport à l’Europe et, à l’instar de George Washington
un siècle avant, de leur neutralité réciproque, ainsi que pour
l’ensemble des deux continents américains du nord au sud. C’est la «
Doctrine de Monroe » (suivre le lien vers l’article de fr.wikipedia),
à la fois protectionniste et paradoxalement isolationniste par rapport
à l’Europe car éventuellement interventionniste dans les événements
latino-américains considérés comme intriqués avec les intérêts
nord-américains. Dans un « Corollaire de la doctrine de Monroe » Le
président Théodore Roosevelt (1901-1909), qui inaugura son propre
mandat par l’achèvement de celui du Président assassiné William
McKinley, dont il était le Vice-Président, déclarera au début du
siècle suivant que la neutralité ne peut être absolue, dans la mesure
où les États-Unis ne pourraient supporter une opposition frontale à
leurs intérêts ; il créera une police à vocation interventionniste en
Amérique Latine, interviendra dans le mouvement d’indépendance du
Panama contre la Colombie afin de favoriser la construction du canal
de Panama, et en arbitre des oppositions entre les vieilles puissances
(Russie et Japon, France et Allemagne — concernant le Maroc) ; enfin,
il réalisera un expansionnisme en étendant à l’Océan Pacifique, par la
prise du contrôle des Philippines, et aux Caraïbes, par la prise du
contrôle de Cuba, environnement régional élargi qui concernerait les
intérêts de l’Amérique, etc. (voir l’article dans fr.wikipedia).

[7] Pour estimer que cette proposition des dirigeants
latino-américains sur la drogue est raisonnable, il suffit de comparer
sur le fond avec d’autres cultures des toxiques mortels, par exemple
en matière d’alcool. Leur requête n’’est pas différente du statut
officiel de la production de la vente et de la consommation des
boissons alcoolisées dans la plupart des pays qui les pratiquent et
les autorisent, généralement sous certaines réserves : l’interdiction
de la vente aux mineurs, ou au-delà de certaines heures en soirée, ou
encore au volant, par exemple. Notamment en France, lieu à la fois de
production et de consommation de nombreux alcools consommables, où
cette culture put prendre l’aspect d’un fléau populaire destructeur et
mortel au XIXe et au début du XXe siècles, et dont le risque pour la
santé publique demeure en partie : non seulement concernant les
maladies propres de l’alcoolisme, mais encore dans l’accroissement des
risques associés de cancer dus à la consommation du tabac et des
produits associés (papier, etc.), et à l’effet tératogène bien connu
(les dioxines et le nucléaire par exemple) ou cancérigène d’autres
facteurs environnementaux parfaitement identifiés.

[8] Rand Corporation est un institut d’analyse et de sondages non
lucratif d’aide à la décision reconnu aux USA. Voir le site :
http://www.rand.org/.

[9] Le Cato Institute est un institut économique dont la devise est «
liberté individuelle, libres marchés, et paix », situé à Washington
D.C. ; voir le site : http://www.cato.org/.




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