Louise Desrenards on Wed, 16 Mar 2005 13:24:50 +0100 (CET)


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[nettime-fr] post-démocratie/ fin de la démocratie


( sur la tribune du Monde le 12 mars
http://www.revue-republicaine.org )

Qui veut de la post-démocratie ?



Que le projet de Constitution européenne fasse la part trop belle à la
concurrence ; que son caractère social soit insuffisamment affirmé, son
préambule un tissu de platitudes mièvres, sa troisième partie mal venue
dans un texte à prétention constitutionnelle ; que la charte des droits
fondamentaux ressemble à un catalogue festif de droits à tout et son
contraire, tout cela n'est rien à côté de la perversité absolue qui
consiste à demander à des peuples d'accepter de « constituer » une Europe
sciemment post-démocratique.

Le terme d'imposture n'est pas trop fort pour désigner le processus
d'usurpation de légitimité à l'ouvre depuis le sommet de Cologne, en juin
1999. Déjà, l'organisme désigné chargé de rédiger la charte des droits
fondamentaux n'avait pas hésité à s'autoproclamer « convention », pour
s'attribuer le prestige des assemblées américaines élues par le peuple
pour adopter ou amender la Constitution. Cette « convention » avait aussi
cru bon d'outrepasser le mandat de Cologne en consacrant des droits
nouveaux qui n'y figuraient pas, et de se vanter de son « petit coup
d'Etat » et de s'enorgueillir que des groupes de pression inconnus de tous
et mandatés par personne aient « amendé » le texte.

Le contenu de la Constitution est à l'image de son processus
d'élaboration. Il ne consacre aucune démocratie véritable et se borne à
enkyster ce qu'a toujours été l'Europe communautaire : une collection
d'aristocraties échappant au contrôle populaire. L'initiative législative
- la conduite de la politique de l'UE - reste entre les mains d'une
Commission dont on persiste à célébrer l'indépendance, comme si le fait
d'échapper à l'influence d'instances démocratiques était une qualité
politique.

Le titre consacré à « la vie démocratique de l'Union » (on n'a pas osé
écrire la démocratie tout court) n'arrive qu'en cinquième position dans le
texte et prête franchement à sourire. Il oppose clairement et
dangereusement la démocratie « représentative » à une prétendue démocratie
« participative » consistant (article 47) en « un dialogue ouvert,
transparent et régulier avec les associations représentatives et la
société civile ». Voilà ce qu'on appelle abusivement « démocratie » : du
lobbying institutionnalisé et une tentative de substituer une « société
civile » éclatée, composée de groupes de pression et d'intérêts
minoritaires, aux nations et aux peuples.

Le droit de pétition permettant à un million de citoyens d'"inviter" la
Commission à proposer une loi européenne dont elle appréciera
l'opportunité est une mascarade d'initiative populaire. Il demeurera
essentiellement un instrument bien peu transparent au service de lobbies.
On comprend pourquoi la phrase de Thucydide : « Notre Constitution est
appelée démocratie parce que le pouvoir est entre les mains non d'une
minorité, mais du plus grand nombre », initialement placée en tête du
texte, a finalement été retirée.

Cette absence de démocratie est d'autant plus vertigineuse que les
compétences de l'UE, telles qu'elles résultent des dispositions combinées
décrivant ses objectifs et ses pouvoirs normatifs (mêlant
contradictoirement le principe d'attri-bution du fédéralisme américain et
le principe de subsidiarité du fédéralisme allemand), sont en réalité
illimitées.

Tout, absolument tout, est susceptible d'être décidé au niveau européen ;
rien ne peut réellement échapper à l'extension tentaculaire de cette
organisation dont le seul contrôle réside dans une Cour européenne dont
les décisions sont sans appel. Jamais le gouvernement fédéral américain
n'a pu s'emparer d'autant de pouvoirs au détriment de l'autonomie des
Etats, alors qu'il est, lui, parfaitement démocratique.

Ainsi, alors que la Charte des droits fondamentaux n'est évidemment pas
encore adoptée, des juges européens se sont déjà fait fort de l'appliquer
en se moquant délibérément des ratifications référendaires ou
parlementaires à venir. Ce mépris inouï de la démocratie est d'autant plus
provocant que l'on se pique de donner des leçons aux Etats candidats en
les soumettant à d'humiliants examens de passage. A quoi sert-il d'élire
démocratiquement un parlement national dont la tâche ne se borne plus qu'à
transposer les directives élaborées par des instances oligarchiques ?

Le Parlement turc n'est, paraît-il, pas exemplaire au regard des critères
de Copenhague. Mais à quoi ressemble le Parlement européen ?

Fort hostile au régime représentatif, Jean-Jacques Rousseau estimait que
le peuple anglais n'était libre qu'au moment de l'élection des députés et
redevenait esclave aussitôt. Il ajoutait sévèrement : « Dans les rares
moments de sa liberté, l'usage qu'il en fait mérite bien qu'il la perde. »

Les deux peuples, français et anglais, vont être confrontés sous peu au
même choix de la liberté ou de la servitude. S'ils choisissent cette
dernière, ils l'auront méritée.

Anne-Marie Le Pourhiet


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Je ne connais pas les sources. Mais évidemment ce texte sonne tellement
juste qu'il paraît utile de le transmettre d'urgence. Car quand bien même
nous serions bafoués, de toutes façons (quel que soit le résultat du
prochain vote, comme en France la constitution pour s'harmoniser est déjà
modifiée à notre mépris, on apprend maintenant que l'exécution
constitutionnelle européenne est déjà active avant les consultations
populaires prévues) : nous devons absolument faire savoir à nos enfants et
petits-enfants présents ou futurs que nous n'étions pas d'accord et que nous
l'avons dit.
L.



 
 
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