Louise Desrenards on Tue, 5 Oct 2004 13:48:44 +0200 (CEST)


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[nettime-fr] de l'amérique et du reste: à propos des photos de Avedon et demain


Notes complémentaires aux photos de Richard Avedon hier...


Sur l'amérique, sur l'armée, sur le peuple - aujourd'hui les multitudes ?
quel sens pour la vie ?

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Une grande partie de l'oeuvre personnelle
de Richard Avedon dédiée au portrait fut consacrée non seulement aux stars
(toutes disciplines confondues;-) les plus
publiées aux Etats-Unis et dans le monde, mais encore aux personnalités
critiques ou engagées pour les libertés politiques et sociales dans
leur temps et suggèrent le radicalisme de l'artiste.

J'en reviens au portrait en forme de joke provocante de Abbie Hoffman publié
sur la liste hier :
Abbie, membre des "7 de Chicago" ("The Chicago Seven"), étudiants à
l'origine de la restauration du
syndicalisme politique (SDS) aux Etats-Unis qui mobilisèrent lamasse des
étudiants américains contre la
guerre du Viet Nam. Ils sont ainsi nommés pour avoir fait l'objet d'un
procès collectif mémorable à Chicago pour atteinte à la sureté de l'Etat,
soutenus par un immense rassemblement qui tourna à l'émeute sous la
répression policière ; parmi les étudiants
furent de nombreux blessés. En outre des chanteurs et musiciens engagés dont
les aînés (Dylan, Baez), un
grand nombre de célébrités avaient rallié le mouvement. Le cinéaste Nicholas
Ray perdit un oeil pendant les bagarres de Chicago.

Avedon, venu se joindre à la manifestation, photographia les 7 juste avant
leur entrée dans la salle du tribunal, le 25 novembre 1969. Ce portrait
d'ensemble en pied est devenu historique, au point que depuis plusieurs
années
il se trouve dimensionné à l'échelle humaine, au Metropolitan Museum.

Ce fut une image politique des Etats-Unis aussi célèbre que le portrait de
Che Guevarra à la même époque. Chacun aujourd'hui peut en reconnaître encore
certains noms : Rennie Davis, Dave Dellinger, John Froines, Tom Hayden,
Abbie Hoffman, Jerry Rubin, Lee Weiner.

Notamment à la fin de la guerre, Abbie Hoffmann et Jerry Rubin publièrent
"Do it", auto-biographie manifeste à l'origine du mouvement Yippie,
fulgurance de la libération sociale, culturelle et sexuelle de la jeunesse
américaine.

Tom Hayden est le membre bien connu du parti démocrate, sénateur qui ne put
se présenter aux Présidentielles à cause de l'activisme passé de sa compagne
Jane Fonda - allant appeler les GIs à déserter sur le front du Viet Nam,
elle
s'était faite photographier dans les rangs ennemis pour témoigner de la
solidarité entre les deux peuples -.

En outre de l'éducation solidaire qu'elle avait reçue de son père,
Jane Fonda avait rencontré en France Roger Vaillant et sa femme, communistes
militants dans l'entourage de Roger Vadim notamment depuis le premier film
"Les liaisons dangereuses", dont Vaillant avait signé l'adaptation
peu avant la rencontre de Fonda et de Vadim. Elle arrivait en France pour
fuir les contrats avec les majors hollywoodiennes qui la rendaient captive.
Avec l'intention de tout racheter pour se rendre libre. Elle n'avait pas
encore divorcé lorsqu'elle se rendit pour la première fois au Viet Nam, afin
d'accompagner l'engagement de sa nouvelle amie.

Ce sont des signes qui montreent autrement la personnalité critique de Vadim
lui-même, qui n'était évidemment pas le cinéaste préféré des "Cahiers du
Cinéma"
 quoiqu'ils sortirent à l'époque un numéro entier dédié à Jane Fonda pour
saluer
son arrivée en France...

Vadim à Hollywood lors du retour de Jane Fonda aux Etats-Unis, après le
passage
de Signoret puis de Varda et Demy et aussi d'un intellectuel comme Edgar
Morin
qui se trouvait à Berkeley en 68, furent des liens culturels non des
gauchistes
mais du communisme anti-imérialiste en Californie et contribuèrent
relationnellement à restaurer l'image internationale du communisme, telle
que l'Europe libre pouvait encore la représenter solidairement, alors que
Mac
Carthy l'avait faite maudire de sorte qu'aucun visa n'aurait pu leur être
attribué auparavant. Après 68, une ligne radicale passa entre les gauchistes
et les communistes américains qui se révéla clairement notamment à propos de
l'affaire Angela Davis.

Je pense qu'en plein Patriot act, aujourd'hui, et en plein guerre d'Irak,
les mouvements radicaux rejouent les mêmes références et différences entre
eux sous de nouveaux actes, des alternatifs aux clubs ou partis en
reconstruction, sur les bases universitaires aux Etats-Unis.

Par contre, il y a une différence majeure qui ne laisse pas supposer
l'immense soulèvement populaire ni la profusion des désertions qui
contribuèrent au retrait américain du Viet Nam, appliqué aujourd'hui au
Patiot Act et au retrait des forces américaines de l'Irak : c'est l'armée
professionnelle.

Tous aujourd'hui sont recrutés sur la base d'un engagement volontaire. Il
n'y a plus d'appelés - ou qui auraient pour leur part également signé un
contrat spécial signifiant leur volontarisme -, comme à l'époque toute la
jeunesse fut sacrifiée dans l'armée populaire dressée par les Etats-Unis au
Viet Nam du Sud contre le Nord. (Voir des films comme "American graffiti",
dont c'est l'objet, ou "Voyage au bout de l'enfer" et bien d'autres qui les
précédèrent, ou se souvenir de la tournée européenne de Jerry Lewis, le
grand comique et cinéaste américain, qui y perdit un fils et en vit revenir
l'autre Junkie et qui ne commençait jamais un show sans une déclaration
contre la guerre du Viet Nam ; il y a aussi un roman édifiant de John Fante
sur le recrutement militaire obligatoire de la jeunesse pour la guerre du
Viet Nam et la course vaine ou difficile, contre la montre, pour se faire
réformer... C'est un aspect bouleversant de "Mon chien stupide" - ici le
chien réalise la métaphore de l'entropie - du jeu : le pocker ? -, - de la
drogue : l'alcool ? - attachement à la présence fatale du chien, qui agresse
tout le monde créant toute sorte d'ennuis sociaux à ses maîtres, qui
distrait le père de tous les efforts qu'il devrait précisément effectuer
pour aider son fils à ne pas partir ; bien au contraire, par cette
"distraction", il fait entrer la fatalité dans la vie de ses enfants - il y
a aussi la question d'une addiction sexuelle maso d'un autre fils qui se met
en danger de mort, etc... ) C'est un livre sublime sous des traits d'une
extrême simplicité, où la vie et ses défauts et néanmoins l'amour n'en étant
pas un entrent par tous les côtés...

Il n'y a pas d'appelé dans l'armée américaine en Irak, ni d'ailleurs dans
presque toutes les armées du monde aujourd'hui, constituées de
professionnels des corps d'armée des Etats, spécialisés par de grandes
Ecoles, ou des engagés volontaires formés comme professionnels sur le tas,
rejoints par des mercenaires.

L'armée du peuple souleva l'Histoire quand les familles aujourd'hui envoient
les fils et leurs filles au gagne-pain, parce que c'est cela plus qu'à Lyon
il a deux siècles : non "du pain ou la mort" sous le drapeau noir anarchiste
(qui y trouverait une de ses ses origines) mais : "du pain et la mort" -
sauf accident (non mortel).

On ne va pas devenir militaristes pour autant, comme Chevènement (joke pour
français) ?

Il y a toute une réflexion à faire sur la pulsion de mort appelée par les
pouvoirs et les mouvements critiques alternatifs, la mortification sociale
ou de l'individu existentialiste depuis l'imaginaire collectif de la
communauté régionale, jusqu'à celui des multitudes, dans les actes en temps
réel ; l'idée du suicide ou du sacrifice, de l'abnégation du désir, des
martyrs comme vocation des peuples, ne peut s'instrumenter qu'à la lueur
mystique de la croyance, qu'il s'agisse du matérialisme critique ou des
pouvoirs ?

L'héroïsme moderne s'il nous donna une leçon du passé, ce fut aussi le
réflexe de vie sans lequel nul ne peut vaincre pour la vie.

S'agit-il des idées et /ou de la vie ?

Jusqu'aux sacrifiés de Chernobyl contre le pire de la disparition de la vie
sur la planète, fut-ce dans l'abjection de leur corps par l'Etat soviétique
qui ne simula pas qu'il les brûlait vifs, nous pouvions encore nous
interroger autrement, peut-être ?

Gloire aux sacrifiés héroïques de Chernobyl - car ils ne purent l'ignorer à
l'instant même et quoi qu'on en dise.

Cela n'a pas empêché de poursuivre la perspective de tels programmes... au
moins après chaque grande guerre on avait dit : plus jamais ça. Après
Chernobyl on a dit : on fera mieux la prochaine fois.

De quoi prétend-t'on protéger les peuples aujourd'hui, sinon de pouvoir
jouir de la vie - réduire le nombre des humains qui pourront y prétendre ?

Mais des déserteurs en Irak, il semblerait que tout de même il y en ait ?

Quand Avedon à Berlin, parmi foule aux mouvements qu'il figea dans l'extase
photographique, le soir des réjouisssances mondiales concentrées en ce point
précis de la terre, pour abattre et voir abattre le mur, fit ce reportage
incandescent, surexposé, publié notamment en France dans la revue annuelle
Egoïste, il posait en visionnaire la question des lendemains humains
autrement du monde après la guerre froide, la question de vie et de mort,
peut-être ?

Et le texte de Baudrillard qui l'accompagnait dans ces pages n'en disait
peut-être pas davantage - mais autant ?

Alors maintenant, que peut-on faire pour que ça change ? là est la seule
question ; non celle du renversement ou de la redistribution des pouvoirs
dans la même vision de sacrifice ou dans une autre vision de l'abnégation.
Mais bien celle sur le fonds, sur la crise de la signification du désir.


Louise D.





 
 
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