Louise Desrenards on Mon, 14 Apr 2003 11:44:32 +0200 (CEST)


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[nettime-fr] La réponse de René Major à AndréGlucksmann


La réponse de René Major
Institut des Hautes Etudes en Psychanalyse,
à André Glucksmann et les autres...

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http://www.lemonde.fr/article/0,5987,3232--316281-,00.html

"Pacifisme" : réponse à André Glucksmann, par René Major
LE MONDE | 10.04.03 | 13h23

    Le gouvernement américain s'allie aux dictateurs quand cela lui chante.
Il l'a fait avec l'Irak contre l'Iran, avec le Pakistan contre
l'Afghanistan.
Mon cher Glucksmann,
    Dans votre article paru dans la page Horizons Débats du samedi 5 avril,
vous vous en preniez au "camp de la paix"et à ceux qui défendent le droit
international contre la force. Vous ne manquez certes pas d'arguments. Il
est en effet choquant de voir la France et l'Allemagne affublées de la
Russie et de la Chine dans leur opposition à l'intervention américaine en
Irak.
    Mais s'agit-il bien d'une entente de Paris et Berlin avec "le
postmoderne Poutine plutôt qu'avec le fondamentaliste Bush", comme vous le
prétendez ? En ce cas, il ne faudrait pas passer sous silence l'entente
cordiale, l'an dernier, entre Poutine et Bush, pour couvrir à la fois
l'invasion de l'Afghanistan et le massacre des Tchétchènes auquel vous êtes
si justement sensible.
    Vous invoquez Carl Schmitt qui, dans les années 1930, affirmait que la
souveraineté reste liée au privilège de suspendre le droit et de décider de
l'Etat d'exception.  Vous imputez aux démocrates "pacifistes" de participer
à "ce culte de la souveraineté" lorsqu'ils s'insurgent contre ce que les
juristes internationaux qualifient comme une guerre d'agression et qui
n'est, pour vous, qu'un droit d'ingérence ­ pourtant décidée souverainement
et menée avec une véritable guerre d'intoxication pour faire croire à
l'Amérique et au monde que l'Irak disposait d'armes de destruction massive
prêtes à être utilisées contre le peuple américain.
    Question de souveraineté, "la junte fascisante" (j'emprunte l'expression
à Bruno Latour, dans l'article jouxtant le vôtre), qui est actuellement au
pouvoir aux Etats-Unis, est loin d'être la dernière à revendiquer la
souveraineté. Elle la veut même absolue. Non seulement sur son propre
territoire, mais dans le reste du monde.
    "The Rest of the World" est une expression du département d'Etat
américain pour parler de pays qui, depuis la fin de la guerre froide,
refusent de s'aligner sur le "modèle" de société et de gouvernement qui a
réussi à concentrer, à s'approprier ou à confisquer la majeure partie des
ressources naturelles et des pouvoirs technoscientifiques. Déjà, en 1998,
ces faucons avaient rédigé une lettre ouverte au président Clinton pour lui
signifier que la politique de "containment" -endiguement- de l'Irak était un
échec, et que le limogeage de Saddam Hussein était devenu "la priorité de la
politique étrangère américaine".
    Ce n'était pas pour libérer le peuple irakien. Parmi les signataires :
Paul Wolfowitz, Richard Perle, Donald Rumsfeld. Ce dernier, vous le savez
comme moi, venait pourtant de fournir à l'Irak une bonne partie de
l'armement chimique qu'on lui reproche aujourd'hui de détenir. C'était bien
avant le 11 septembre 2001, bien avant qu'on pût imputer, même de mauvaise
foi, quelque lien entre Ben Laden et Saddam Hussein. Ce même Rumsfeld
défendait en mai 2002 à l'OTAN que l'administration américaine s'accorderait
elle-même une sorte de carte blanche pour mener toutes les interventions
militaires qu'elle jugerait nécessaires, sans solliciter une quelconque
approbation à l'extérieur "chaque fois que leurs intérêts vitaux seraient en
jeu".
    Aussi injustifiable qu'ait été l'attaque du 11 septembre 2001, aussi
indéfendable que soit le régime de Saddam Hussein, il ne faut tout de même
pas oublier que cette politique était décidée de longue date et que les plus
fallacieux prétextes n'ont cessé d'être invoqués en se substituant l'un à
l'autre de façon aussi grotesque que ridicule.
    Vraiment, Glucksmann, croyez-vous que le peuple irakien se sente libéré
par ces bombardements intempestifs jour et nuit, qui auront tué et estropié
avec des bombes à fragmentation des milliers de civils, qu'il se sente
libéré par cette "charité" qui empêche les approvisionnements en eau,
médicaments et nourriture d'arriver à la population, quand ils sont
acheminés par les ONG plutôt que par l'armée américaine ?
    Deux cent mille enfants irakiens risquaient de mourir ces derniers
jours, comme le déclare le président de l'Unicef, à cause de cette bêtise.
Je ne vous parle même pas des 500 000 déjà morts à cause de l'embargo. Vous
vous souvenez de la réponse de Mme Albright interrogée à ce sujet, en
mai 1996 : "Il s'agit là d'un choix difficile, mais le prix en vaut la
peine".
    Croyez-vous vraiment que ce gouvernement américain soit un modèle de
démocratie ­ et de respect des droits de l'homme ­ qui, le 11 septembre
2001, arrêtait et maintenait en détention 1 200 immigrants arabes et
musulmans, et annonçait en juin de la même année qu'il avait demandé à des
dizaines de milliers de détenteurs de visas arabes de se faire enregistrer
auprès du gouvernement avec photo d'identité et relevé d'empreintes
digitales ?
    Et ces prisonniers de Guantanamo, privés de tout droit, qui n'ont comme
espoir que le suicide ? On peut craindre le pire pour l'administration de
demain en Irak. Sans compter les traumatismes psychologiques graves infligés
à tant d'enfants et leurs effets à long terme.
    Le gouvernement américain s'allie aux dictateurs quand cela lui chante.
Il l'a fait avec l'Irak contre l'Iran, avec le Pakistan contre l'Afghanistan
(sans apporter en quoi que ce soit la liberté et la paix au peuple afghan),
etc. La liste serait longue. Vous la connaissez. Et si le fonctionnement
onusien a été souvent bloqué, ce fut plus qu'à son tour par le gouvernement
américain. Les multiples résolutions concernant Israël et la Palestine qui
ne furent pas appliquées n'ont jamais mobilisé l'armada de la
superpuissance.
    Quant à l'amour de ce gouvernement pour la démocratie, je vous rappelle
seulement qu'il existait une démocratie au Chili, sous Allende, qui fut
renversée un autre 11 septembre ­ c'était en 1973 ­ par le bras armé des
Etats-Unis pour y installer la dictature de Pinochet.
Les dix millions de personnes qui ont protesté dans soixante pays contre
l'intervention en Irak ­ et qui ne sont pas forcément des "pacifiques" ­ ont
peut-être aussi une mémoire et une raison, même si ce n'est pas la vôtre.


René Major est président de la Société internationale
d'histoire de la psychiatrie et de la psychanalyse.
http://www.etatsgeneraux-psychanalyse.net/

€ ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 11.04.03
 

 
 
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