ewen on Thu, 3 Apr 2003 20:12:24 +0200 (CEST)


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[nettime-fr] Culture et Technologies du Contrôle


Culture et Technologies du Contrôle

La Culture n’est pas simplement l’expression d’intérêts individuels et d’orientations qui se manifestent dans les groupes en accord avec des règles et des habitudes, mais elle offre une identification avec un système de valeurs. La construction de la mémoire culturelle et de l’établissement d’un ordre symbolique au travers de la construction d’espaces mentaux et idéologiques est une pratique traditionnelle du génie culturel ; des scénarios symboliques génèrent de la réalité via l’introduction d’une narration et d’une logique politiquement implicite. Les cartes du monde irradient une aura d’objectivité et révèlent comment les chemins de la vie sont exploités comme instruments cognitifs. Une représentation du monde comme une simulation ou une carte de la réalité, s’averre être hautement inductive et cela explique les investissements dans la représentation culturelle. De l’historiographie à l’éducation, la perception est influencée par les scénarios mentaux qui établissent l’or!
dre symbolique. Selon Edward Bernays, un pionnier des relations publiques modernes, la seule différence entre l’éducation et la propagande est le point de vue. "  La défense de ce en quoi nous croyons est l’éducation. La défense de ce que nous ne croyons pas est la propagande ". Le développement des communications électroniques et des médias digitaux autorise une téléprésence globale des valeurs et des normes comportementales et fournit des possibilités accrues de contrôler l’opinion publique en accélérant le flot de la communication de persuasion. L’information est de plus en plus difficile à distinguer de la propagande, définie comme " la manipulation des symboles comme moyens d’influencer les attitudes ". Qui contrôle les métaphores contrôle les pensées.

Le flot omniprésent d’information est trop rapide pour être absorbé et créer de la valeur dans l’économie de l’attention inclut l’utilisation subtile des moyens d’orienter la perception vers certaines zones, pour mettre certains aspects sous les projecteurs dans l’idée de laisser les autres dans la pénombre. La focalisation accrue de l’attention sur le spectacle fait disparaître tout ce qui n’est pas dans l’horizon prédéfini de l’événement. La manipulation de l’Infosphère est également mise en application au travers d’une profonde pénétration du paysage de la communication par des agents d’influence. Les opérations à grande échelle pour gérer l’opinion publique, pour susciter des motivations psychologiques directrices et pour créer du consentement ou pour influencer l’établissement de politiques ne sont pas exclusives au vingtième siècle. Les preuves de reconstruction culturelle fictive sont abondantes au Moyen Age ; de récentes découvertes sur la magnitude des falsification!
s, la manipulation à grande échelle de généalogies, de documents officiels et de codes ont suscité une large attention et un intérêt des médias. Au douzième siècle en Europe en particulier, de pseudo documents historiques ont été largement employés comme instruments de manipulations psychologiques et de légitimation politique. Selon certaines estimations de conservation, la majorité des documents de cette époque étaient fictifs. Avec du recul, des empires entiers pourraient s’avérer être des purs produits du génie culturel. Qui plus est, des écrivains comme Martin Bernal, auteur de " La Fabrication  de la Grèce Antique ", ont clairement démontré dans quelle mesure la propagande culturelle et la désinformation historique étaient contenues dans les travaux des érudits européens. Sur la base d’idées racistes et d’un agenda politique caché, des scénarios historiques ont été fabriqués et des trajectoires culturelles distordues dans l’idée de soutenir l’hégémonie idéologique de ce!
rtaines élites européennes.

L’informatisation croissante de la société et de l’économie est également la source d’un intérêt croissant pour la culture, un software culturel dans la structure psycho-politique de l’influence. Durant la soi-disante guerre froide, les aboutissants de l’hégémonie culturelle jouaient également un rôle prépondérant. Dans des publications comme " La Guerre Froide Culturelle " et " Comment l’Amérique a volé l’Avant-Garde " Frances Stonor Saunders et Serge Guilbaud offrent une vision de derrière-la-scène de la machine de propagande culturelle et fournissent un sens de l’extravagance par laquelle cette mission a été menée. Curieusement des efforts ont été alors déployés pour soutenir des positions libérales et progressistes comme tête de pont contre la " menace communiste ". Si l’on choisit de croire certaines analyses d’investigations historiques contemporaines, il semble difficile de trouver un seul des magazines culturels progressistes occidentaux qui n’est pas été soutenu ou !
financé par une organisation de couverture des services secrets ou infiltrés par de telles agences. A la lumière de cela, la réclamation faîtes par Cuba à la conférence mondiale de l’UNESCO à la Havane en 1998, selon laquelle la culture est " l’arme du vingt-et-unième siècle " ne semble pas infondée.

Le Maintien de la Paix Informationnelle a été décrit comme " la forme la plus pure de la guerre " dans la vaste littérature militaire sur la guerre de l’information. De la guerre froide à la guerre du code, la construction de mythes, avec l’intention d’harmoniser l’expérience subjective de l’environnement, est utilisée comme motivation et procédé d’assimilation dans la gestion de conflit. Alors que " l’Intelligence " (selon le terme anglais qui englobe plus que « l’Espionnage » et que nous utiliserons majoritairement, N.d.T.)  se caractérise souvent comme un substitut virtuel à la violence dans la société de l’information, le Maintien de la Paix Informationnelle, le contrôle des paramètres psycho-culturels à travers le pouvoir subliminal de l’intermédiation et de l’interprétation est considéré comme la forme la plus moderne de la guerre.

Société de Désinformation

Nous sommes dans une époque de boom pour les agences d’intelligence, et pas seulement d’intelligence d‘Etat mais également d’intelligence privée. La Surveillance de masse, la veille des données, et le traitement de l’information se sont développés en une industrie majeure d’intelligence. Alors que l’intelligence d’Etat est protégé par le secret dans l’intérêt de la sécurité nationale, des honoraires prohibitifs et d’importants transferts de fonds qui ne peuvent être couverts que par des sociétés, gardent l’accès à l’intelligence économique.

Les sociétés, consommatrices d’intelligence économique, poussent systématiquement dans les médias vers un amalgame entre information éditoriale et relations publiques de l’entreprise. L’agenda de l’accumulation privée de capital est ensuite soutenu par une multitude de think-tanks publiant des recherches idéologiquement biaisées et d’agendas cachés maquillés en travail académique indépendant. Pour se distinguer de l’industrie de la manipulation de cerveaux mise en place par l’intérêt d’entreprise et génératrice de milliards de dollars, il n’y a pas de fondations d’intelligence culturelle de l’Héritage Futur, pas d’instituts de prévoyance explorant le potentiel multidimensionnel de la communication expérimentale humaine au-delà du simple rôle de consommateur. C’est comme si le contrôle du développement sociétal était dans les mains des élites technocratiques, des bureaucrates désinformés et d’un lobbyisme de l’ombre mais néanmoins agressif. Les plans pour le futur de la commu!
nication sont décidés derrière des portes closes.

Les environnements technologiquement déterminés façonnent la société, le potentiel participatif démocratique est de plus en plus exclu d’un débat public. La plupart des espoirs d’une pratique émancipatrice dans une société basée sur l’échange d’information semblent s’être volatilisé et avoir cédé la place à un pessimisme ambiant. Au contraire le potentiel des technologies de communication et d’information pour le contrôle politique et la répression n’a apparemment pas de limites, de telle sorte que ses applications pratiques deviennent de plus en plus " normales " et se manifestent dans la réalité tous les jours. L’utilisation de la technologie de l’information pour la dissuasion de la dissidence civile ouvre une nouvelle dimension au contrôle politique et culturel.

Avec l’année 2002, l’intrusion de haute résolution dans la vie privée est devenu le mainstream de l’époque. Par ailleurs le 11 Septembre ayant tout laminé, ce développement a bénéficié d’une impulsion pour plusieurs années. Le projet d’interception des communications trans-frontalières Enfopol de l’Union Européenne, et la loi de Regulation of Investigative Powers (RIP) du Royaume-Uni, qui autorise la police à intercepter n’importe quelle communication utilisant le " système de communications  publiques " furent parmi les premiers dispositifs légaux pavant la route pour l’émergence d’une société de surveillance totale. Bien qu’ayant été discuté par le Parlement Européen en 1998, le système Echelon d’interception des communications établi en 1948 demeure un des secrets des agences d’intelligence occidentales et inaccessible à la responsabilité démocratique. La prolifération croissante des technologies de surveillance et de contrôle n’est pas simplement utile pour son potentiel!
 à contenir des segments de la société qui échouent à être intégrés dans l’économie de la manipulation du symbole machinique, mais les effets à long terme de l’homogénéisation sociale à travers la structure de commande et de contrôle de la technologie sont également hautement désirables pour les marchés globalisés et la gestion de l’opinion.

Culture Future

La situation devient même encore plus précaire du fait même que les nouveaux médias sont comme jamais auparavant dominés par une concentration dramatique du capital d’intérêt privé et par l’absence de protection de l’intérêt public par les représentants politiques pour la société dans son ensemble. La sphère publique peut au mieux se développer indépendamment de l’état et des intérêts commerciaux dominants. La logique de contrôle sur le marché des médias est durement opposée à la formation et à l’épanouissement d’une sphère publique, et le disfonctionnement des marchés médiatiques génère une déficience cruciale dans la culture de médias participatifs. Une société façonnée par les systèmes technologiques et la communication digitale devrait conserver une perspective où la liberté culturelle peut être activement recherchée et dans laquelle l’usage et la valeur ne sont pas exclusivement déterminées par les profits.
Par conséquent il semble nécessaire d’étendre les bases de compréhension pour soutenir une large discussion sur les implications politiques des TIC et pour faire émerger une conscience sur les issues du conflit. Les développements qui nécessitent d’être observés avec une grande conscience incluent l’attaque sur la vie privée et sur le corps informationnel, le partage digital, les esclaves du net et la détérioration du lieu de travail, la disparition d’une sphère publique dans le domaine digital, l’extension du copyright au bénéfice de l’industrie de contenu mais également l’établissement de standards technologiques uniques, la militarisation du cyberespace et les nouvelles possibilités de désinformation.

Contre cela et plus qu’un rassurant arrière-plan, il y a une surprenante multitude d’exemples d’usages émancipateurs des TIC à trouver de par le monde entier et cela est indéniablement devenu un instrument essentiel pour les activistes politiques, culturels et des droits de l’homme. Ces groupes et individus sont ceux qui conserve en vie l’esprit d’un usage social des réseaux de communication et donnent un exemple d’enrichissement de pouvoir au travers des nouvelles technologies.

Konrad Becker


Introduction au Dictionnaire de Réalité Tactique, par Konrad Becker, Editions Selene, Vienne, Autriche. Traduit par Ewen Chardronnet.

Konrad Becker est directeur de http://world-information.org

Traduction à suivre !

 
 
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