n-d-n on Sat, 9 Mar 2002 15:56:14 +0100 (CET)


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[nettime-fr] [zanzara@free.fr: Des squatteureuses s'invitent aux "rencontres internationales" mondaines des "Nouveaux territoires de l'art" à la Friche Belle de mai, Marseille (février 2002)]


----- Forwarded message from Zanzara athée <zanzara@free.fr> -----

Date: Thu, 7 Mar 2002 18:15:13 +0100
From: Zanzara athée <zanzara@free.fr>
X-Mailer: The Bat! (v1.53d)
To: zanzara@squat.net
Subject: Des squatteureuses s'invitent aux "rencontres internationales" mondaines des "Nouveaux territoires de l'art" à la Friche Belle de mai, Marseille (février 2002)

Des  squatteureuses  d'un  peu  partout  et  d'ailleurs s'invitent aux
"rencontres  internationales"  mondaines  des "Nouveaux territoires de
l'art" à la Friche Belle de mai, Marseille (14-15-16 février 2002)  


Du  14  au  16  février  2002,  se  tenaient  à la Friche Belle de mai
(Marseille)  des  "rencontres  internationales"  ayant  pour cadre les
"Nouveaux   territoires  de  l'Art".  Ça  s'intitulait  précisément  "
Rencontre  Internationale  :  Nouveaux  Territoires de l'Art - Espaces
alternatifs  -  Friches  -  Fabriques  - Projets pluridisciplinaires -
Squats  ".  Le  programme  affirmait  qu'il  s'agirait de " 3 jours de
contributions,  ateliers,  tables  rondes  et  séances  plénières pour
interroger  les  contenus,  finalités,  singularité  et  enjeux de ces
démarches.  Libres, souples et ouverts, les débats seront enrichis par
la  présentation  de  monographies  d'expériences  collectées  dans le
monde ".  Bon,  jusqu'ici,  ça  aurait  même  presque  pu  paraître
intéressant…  Subvertir  le  vieux-monde  entre autres par la création
d'espaces autonomes, autogérés, où l'on " créé ", justement.
Evidemment,  avec  les  liens  qui  existent  entre  différents squats
d'artistes  réformistes  et le pouvoir étatique, l'intitulé poussait à
la   méfiance.  A juste titre ! Car il s'agissait tout bonnement d'une
" rencontre   initiée   par  le  ministère  de  la  Culture  et  de  la
Communication,   le   secrétariat   d'Etat  au  Patrimoine  et  à  la
Décentralisation  culturelle  ",  le  tout  "  avec  le  soutien  des
ministères  de  la  Ville,  de  l'Emploi  et  de  la  Solidarité,  du
secrétariat d'Etat à l'économie solidaire, du Fonds d'Action Sociale,
de l'Equipement ", et plein d'autres bidules très rigolos dans le même
style…  avec  le  soutien  de  la  Ville  de Marseille et de son Maire
raciste, bien sûr.  

Nous étions donc quelques squatteureuses à vouloir y aller, pour nuire
au  consensus  qui allait de toute évidence y régner, et pour apporter
un  discours  différent, voire subversif, aux nombreuses personnes qui
allaient s'y rendre pour autre chose que légaliser des lieux…   

Notre  action  s'est limitée à peu de choses, car nous ne voulions pas
entrer  dans  un schéma de contestation spectaculaire qui fait souvent
le  jeu  du "monde de l'art", justement. Nous ne voulions pas être les
contestataires  de  service,  mais  plutôt  apporter  quelques  idées
élaborées :
-  Dans  un premier temps, des questionnements, avec le texte "Atelier
4½", qui parodiait notamment l'intitulé de l'Atelier 4.
-  Dans  un  second  temps,  un  discours  critique  précis, reprenant
notamment  les  déclarations  de  la crème de l'institutionnalisation,
avec  le  texte  "Table ronde 4½", dont le titre parodiait celui de la
Table ronde 4 ("Un autre monde ?").   

D'après  les  employé-e-s  de  la  Friche Belle de mai, 1200 personnes
étaient  inscrites  pour participer à ces rencontres. Nous n'avons pas
l'impression  d'en  avoir  vu  autant,  mais il y avait chaque jour au
moins  600  personnes…  bien sûr, très peu d'entre elles ont participé
aux  "discussions",  et  les  "ateliers"  comme  les  "tables  rondes"
ressemblaient  à  s'y  méprendre  à  de vastes colloques lors desquels
seul-e-s quelques intervenant-e-s spécialistes s'expriment.   

Pour plus d'infos sur ce qui s'est passé lors de ces trois jours, contactez-nous : 
lnb4@caramail.com, iosk@altern.org, zanzara@squat.net

_____________________________________

Le  texte  ATELIER  4  ½ qui suit a été distribué à 600 exemplaires le
jeudi  14  février  2002  dans l'enceinte de la Friche Belle de mai et
notamment à l'entrée de l'atelier 4. Il a été diffusé sous forme tract A5 :
__________

ATELIER 4 ½
Nouveaux  territoires  de  l'art, contrôle étatique et non-réinvention
des rapports sociaux

Des  Ministres, des secrétaires d'Etat, des sénateurs, des maires, des
artistes,  des  juristes,  des  politologues,  des  philosophes,  des
sociologues,  des  économistes,  des  directeurs,  des  aménageurs  de
territoires… : quelle réinvention des rôles et des rapports sociaux ?   
L'art n'a-t-il pas toujours été un enjeu de pouvoir ? 
N'a-t-il pas souvent été garant de la paix sociale ? 
La création peut-elle s'abstraire du contexte social ? 
Peut-on  parler  de  création libre dans un cadre institutionnel et/ou
marchand ?
L'Etat, contrôleur officiel des nouveaux territoires de l'art ?
Plus lié au pouvoir que jamais par sa difficulté à le critiquer, l'art
le  plus  "libre"  n'est-il  pas  libre qu'en tant que spectacle d'une
liberté de création dont tout le monde est en réalité dépossédé ?
Sous  la  dénomination "aménagement du territoire", l'implantation des
lieux artistico-culturels n'est-elle pas un prétexte pour nettoyer les
centre-ville des populations indésirables ?
Musées,   galeries,   …  maintenant  friches,  laboratoires,  projets
pluridisciplinaires,  fabriques, squats "d'artistes", … : à quel point
ces territoires normalisés et/ou récupérés nourrissent-ils l'idéologie
dominante ?
Les  squats  gentils  et  "utiles"  sont-ils  pour  l'Etat un outil de
stigmatisation   et   de   criminalisation  des  squats  méchants  et
insubordonnés ?
L'Etat  court  après  les  territoires  turbulents  qui échappent à sa
paternité : de quoi a-t-il peur ?
Aime-t-on oublier que le squat est par nature une critique en actes de
la propriété privée ?
Pour   qui   les  individus  préoccupés  d'autogestion,  d'autonomie,
d'émancipation, sont-ils dangereux ? Le sont-ils encore plus quand ils
s'organisent collectivement dans des squats ?
Le  pseudo  décloisonnement  et  la  prétendue  transversalité  d'une
nouvelle   fonction   artistique  ne  sert-elle  pas  qu'à  renforcer
l'identité divine de l'Artiste ?
Qui  menace-t-on  en  refusant  d'endosser  de quelconques rôles figés
(tels  que  ceux  d'artiste  et  de  spectateur)  et  en  dépassant la
non-intervention qui caractérise nos vies ?
Les  ersatz  d'autogestion  sont-ils  un  vaccin  contre l'autogestion
généralisée ? 


        Madeleine  Albright  (guerrière, Etats-Unis), Babar l'éléphant
        (Roi,  Céleste-ville),  Batman  (super-héros,  Gotham  City),
        Pierre   Bourdieu  (sociologue,  Paris),  Dalida  (chanteuse,
        Egypte),   Louis  de  Funès  (acteur,  France),  Steffi  Graf
        (tenniswoman,  Allemagne),  Pablo  Picasso (peintre, Espagne),
        Hubert Védrine (Ministre des Affaires Etrangères, France)     

Des squatteureuses d'un peu partout et d'ailleurs


_____________________________________

Le  texte  TABLE  RONDE  4  ½  :  UN  MONDE  DE MERDE ? qui suit a été
distribué  à  500 exemplaires le samedi 16 février 2002 à la sortie de
la  table  ronde 4 qui clôturait les 3 jours de "rencontres". Il a été
diffusé  sous  forme de feuillet (8p.A5). En dernière page se trouvait
le tableau intitulé LE LANGAGE DES NOUVEAUX EXPERTS DE L'ART :
__________

TABLE RONDE 4 ½ : UN MONDE DE MERDE ?
Lettre à Michel Duffour et à ses invité-e-s.


L'annonce  de  l'atelier 4 ½ vous a-t-elle plu ? Les échos que nous en
avons reçu étaient bizarrement plutôt positifs, probablement parce que
cet  atelier  n'était  pas  réellement au programme, parce qu'il s'est
donc limité à poser quelques questions, parce que les rapports sociaux
à " réinventer "1 n'ont pas été ébranlés ailleurs que sur du papier…
Pendant  ces  rencontres,  tout le monde il est beau, tout le monde il
est  gentil,  c'est  marrant.  C'est  très  " gauche plurielle " cette
ambiance,  c'est  international  et  ouvert,  à l'initiative de l'Etat
français, avec le soutien de la Ville de Marseille, du Conseil général
des  Bouches-du-Rhône et du Conseil régional PACA, en partenariat avec
Air  France  (entre  autres,  bien  sûr)  : les sans-papiers vivant en
France sont certainement heureuses et heureux de connaître l'existence
de cette " rencontre internationale "2.

Pour  ces  rencontres  sur  les  " Nouveaux territoires de l'Art ", la
langue  de bois est de mise, on parle de " dispositif d'accompagnement
mis  en  œuvre  en  France  par  le  ministère  de la Culture et de la
Communication  " pour un " programme de soutien aux espaces et projets
non-institutionnels   "3.   En   langage  courant,  on  appelle  ça  "
l'institutionnalisation  " de lieux jusqu'alors indépendants (de moins
en  moins  car  au fur et à mesure de plus en plus compromis). On peut
considérer  cela  comme une mise sous tutelle. Le secrétaire d'Etat au
Patrimoine  et  à  la Décentralisation Culturelle Michel Duffour écrit
dans  sa  lettre  à  Fabrice  Lextrait  (chargé  du rapport " Friches,
laboratoires,  fabriques,  squats,  projets  pluridisciplinaires…  une
nouvelle   époque   de  l'action  culturelle  ")  que  "  face  à  la
multiplication  de ces projets, inscrits dans des contextes différents
de  ceux  des institutions culturelles identifiées, le ministère de la
Culture  doit s'interroger aujourd'hui sur les conditions et les modes
d'interventions  spécifiques  qui  pourraient accompagner ce mouvement
profond "4.   

Fabrice Lextrait, quant à lui, s'interroge sur ces " nouveaux artistes
"  qui  ouvrent  de  "  nouveaux  territoires ", les organisent et les
vivent collectivement. Ces espaces sont " insaisissables ", " mouvants
",  "  indépendants  ", " souples ", " ouverts "7 : on pourrait dire "
libres  "  mais  on  le  dit  peu  car  ça pourrait être trop franc. "
L'artiste  "  ne  veut  pas " être instrumentalisé dans le cadre d'une
procédure  publique  "7  ?  Qu'il se rassure : ses friches et autres "
projets  "  de ce genre ne seront que " réinscrits dans les procédures
d'aménagement  (ex  :  Contrat  de Plan Etat-Région, Contrat de Ville,
Contrat  d'Agglomération,  de  Pays,…)  "7, rien de plus. Ses lieux de
création  se  fondent sur des " principes d'autogestion "7 ? Qu'à cela
ne  tienne  :  l'Etat  les  suivra  "  par  une écoute, un suivi et un
accompagnement  administratif  renforcé  "  ou encore " par un soutien
financier  direct "7. " L'artiste " se veut " en prise directe avec la
société,  le  réel  ",  il a créé des lieux qui " se démarquent [d'un]
maillage  ",  disons  carrément  " contestataires " ? Heureusement que
l'Etat affectionne cette contestation, et lui accorde " un soutien (…)
transversal et puissant ", un " partenariat (…) le plus large possible
"7.   Au  bout  du  compte soyons clair-e-s : ces espaces jouent " sur
l'autonomie des acteurs "… " à l'intérieur du système " - l'expression
n'est pas anodine. En gros Lextrait nous vend une indépendance biaisée
(car  chapeautée  par  l'Etat)  et partielle (car emmagasinée dans des
lieux " alternatifs "  bien identifiés). Drôle de façon de soutenir la
liberté,  excellente manière de la contrôler. Le monde politicien voit
de  grandes  choses  se construire sans lui, le voilà qui accourt pour
les codifier et les ramener à lui : la perspective de voir des gens se
passer  de  lui  le  tétanise.  Il doit garder un rôle paternaliste et
puissant.  Pour  ne jamais crever. " Vous voulez de l'autogestion ? En
voici  quelques ersatz, régalez-vous. Si vous en voulez d'autres, nous
nous   chargerons   de   vous  en  confectionner.  Bientôt  nous  les
privatiserons  et  vous  n'aurez plus qu'à les acheter. " Mais surtout
nous devons rester consommateurs et consommatrices, demander puis dire
merci,  intervenir  oui  mais  jusqu'à un certain point. Et arrêter de
penser à la révolution.   


On  pourrait faire un parallèle entre les expérimentations artistiques
alternatives  et  l'agriculture biologique. L'un comme l'autre sont le
reflet  d'idéaux,  que  nous ne partageons pas nécessairement, et sont
des  champs d'expérimentation que le pouvoir veut récupérer. Il s'agit
pour  lui  de  mieux s'engouffrer dans des créneaux porteurs. Créneaux
commerciaux  évidemment : la rentabilité est un critère qui est propre
au  système  capitaliste dans lequel s'inscrit l'Etat, et que celui-ci
cherche  à  masquer  sous  des  préoccupations de santé publique ou de
bien-être  social.  Mais  créneaux  idéologiques  aussi,  car  il  est
nécessaire    à    nos   démocraties   d'alimenter   leur   doctrine
techno-capitaliste  en  la  teintant  d'éthique. Ainsi les labels dont
l'Etat  a  affublé l'agriculture biologique et bientôt, même s'il s'en
défend  pour  l'instant, les friches, laboratoires, et autres squats "
artistiques ", sont un moyen subtile et efficace de les récupérer pour
mieux  les  contrôler.  Vidés  de  leur  substance  un  tant  soit peu
contestataire,  ces  domaines  donnent  une caution morale à l'Etat et
procurent  l'illusion  d'être privilégié-e-s aux consommateurs/trices.

Comme  si l'Etat pouvait être autre chose que LA structure du contrôle
et  du  pouvoir, Michel Duffour affirme qu'une " approche respectueuse
[des  nouveaux  territoires  de  l'art]  et  de  ces projets atypiques
implique  une  modernisation  du  fonctionnement  de  l'Etat  et  des
collectivités publiques "5. Quelle modernisation, si ce n'est celle du
contrôle et du pouvoir, justement ? L'alibi, bien sûr, c'est l'argent,
"  la  question  des  moyens  financiers  dont  on  ne  peut jamais se
satisfaire si l'on entend aider l'émergence de tous les talents "5. Et
il  le  sait.  Il  brandit l'étendard du bienveillant Etat français en
disant  croire " que l'on est d'autant plus créatif que l'on n'est pas
précaire  et  soumis  en permanence aux critères de la rentabilité "5.
Etre  soumis-es  au  bon vouloir financier de l'Etat, n'est-ce pas une
forme  de  précarité  ?  Heureusement,  Michel  Duffour  est " pour un
dialogue  permanent  entre l'Art et le Politique, et résolument contre
toute  instrumentalisation "5. Dis, Michel, tu nous la financerais, la
révolution  qui  nous  mènera à l'abolition simultanée de l'Etat et de
l'argent  ?  Respecterais-tu  nos " projets atypiques " (" atypiques "
pourquoi,   d'ailleurs   ?   dans   un  système  de  banalisation  et
normalisation extrêmes, il n'est pas inutile de se poser la question…)?
En  parlant  de ces " initiatives atypiques "6, tu cherches " comment,
sans  les conduire à s'assagir, aider ces aventures à troubler l'ordre
des  choses  "6.  Evidemment,  ces " initiatives atypiques " tu les as
plutôt bien choisies : elles ne cherchent pas à " troubler l'ordre des
choses  "  au  point  de  vouloir  révolutionner la société. Ce serait
excessif.  La  plupart  ne  veulent  que  quelques  miettes,  souvent
synonymes  d'intégration…  Et  cela  est  très  bien  expliqué dans le
rapport  Lextrait  :   " Si des artistes, des publics, des opérateurs,
des  décideurs  politiques  et institutionnels ont décidé de s'engager
dans  ces  expériences, c'est parce qu'ils ne trouvaient pas, dans les
lieux  et  les  pratiques  institués,  la  possibilité  d'inventer  de
nouvelles  aventures  culturelles fondées sur la permanence artistique
dans  la  cité, dans le pays. La dynamique de création de ces nouveaux
projets  prend  souvent  sa  source dans la rencontre d'artistes et de
producteurs  cherchant  à  réunir  les  conditions  élémentaires  pour
travailler avec des publics prêts à s'impliquer pour faciliter l'accès
à des formes artistiques et culturelles négligées dans les équipements
traditionnels.  De fait, la capacité à se mobiliser en tant qu'amateur
pour  favoriser  la  rencontre  avec  les écritures artistiques et les
pratiques  culturelles que l'on défend est l'un des principaux moteurs
de  cette  dynamique  "7.  Et  pour  ça,  quoi qu'en disent Duffour et
Lextrait,  il  faut  une connaissance des lieux subventionnés, donc un
contrôle idéologique de leurs activités. Même si " le plus souvent ces
projets  échappent aux cadres de classement et d'évaluation classiques
"8  parce  qu'ils  rechercheraient  "  indépendance  et  autonomie par
rapport aux pouvoirs publics quel que soit le contexte dans lequel ils
s'inscrivent,   tout  en  revendiquant  des  relations  négociées  de
partenariat  "8 (jolie pirouette qui réussit à lier les compromissions
qui  impliquent  négociation  et  partenariat  aux notions subversives
d'indépendance  et  d'autonomie, c'est de la novlangue ?), le contrôle
effectué  sur  ces  lieux,  sur  ce  "  mouvement  profond  ",  semble
relativement  assumé : " un groupe de travail (…) a été constitué pour
réfléchir  aux  modes  et  indicateurs  d'évaluation  de ces nouvelles
aventures.  "5  Groupe de travail mis en place par des infrastructures
étatiques, bien sûr, comment pourrait-il en être autrement ?

Paul  Virilio  est  drôle,  quand il " espère que ces lieux seront des
lieux  réfractaires  à  la marchandisation et à la grande liquidation.
Les  friches sont le contraire de la privatisation, même si elles n'en
ont  pas  l'air. Ce sont des espaces critiques, des espaces en sursis,
ce  sont  des  espaces  qui  (…) seront rebelles à la grande politique
culturelle  qui  s'annonce,  celle des médias et des grands trusts "9.
Rebelles  aux alliés de l'Etat, mais pas à l'Etat lui-même. L'Etat, il
est  doux  comme un agneau, et la  " grande politique culturelle ", il
ne  connaît  pas…  Et  puis, les médias, parlons-en : difficile d'être
rebelles  à  ceux qui nous encensent, comme c'est le cas de la plupart
des  quotidiens français (le Monde, le Figaro, Libération, l'Humanité,
la  Croix)  ou pour des journaux qui a priori n'ont pas grand chose en
commun (le Monde Diplomatique et l'Express)10.

Enfin,  soyons  clair-e-s,  le  ministère  de  la  Culture  et  de  la
Communication  n'a  pas  eu beaucoup de mal à trouver des relations de
confiance  avec  "  des  espaces ou des projets atypiques. Là, [Michel
Duffour  a]  pris  la mesure du nombre incroyable d'initiatives qui se
développent hors du champ institutionnel "5. Hors de son propre champ,
puis  complètement  dedans, ce qui fait dire à David Drouet, membre du
collectif Station Mir : " Que se passe-t-il après les longs discours ?
Ce  qui  était au départ une initiative d'artistes est désormais menée
par  les  élus  "11. En même temps, David, tu connais la publicité : "
parce que je le vaux bien ". Tu l'as bien cherché, non ?
Quand  un  Secrétaire  d'Etat  au  Patrimoine  en  arrive  à  faire la
promotion  de  certains  squats  (rappelons  que  tout  squat  fait la
critique  en  actes,  qu'il  le  veuille  ou  non,  de la sacro-sainte
propriété  privée),  il  est  difficile de ne pas se demander si ces "
squats  d'artistes  "  ne  font  pas  le jeu d'un système qui a besoin
d'Art,  de  spectacle,  de culture-loisir, d'un ensemble de connexions
utiles  à la bonne conservation d'une paix sociale très " démocratique
"… Il n'est pas très étonnant que le rapport Lextrait affirme l'air de
rien que " l'existence d'une structure d'accueil et d'une structure de
production qui assume les fonctions de pilotage du site, ainsi que les
fonctions  d'accompagnement  des projets artistiques, est déterminante
dans  les  modes d'organisation et de régulation des résidences. "7 Un
squat, ça peut se " régulariser "…
Hé,  Yabon, chef " squartiste ", tu y arriveras, persiste, continue de
te  contenter  de  vouloir  "  des  ateliers  dans Paris "12, il n'y a
vraiment pas de quoi désespérer… Des miettes, on finit toujours par en
avoir. Dans tout ce fatras de banalités, nous sommes au regret de vous
annoncer  qu'il  n'y  a  la  aucun " nouveau rapport entre l'art et la
société  "13,  la " présence inédite des artistes dans la cité "13 n'a
rien  de  nouveau,  la  seule différence étant la tolérance assumée de
l'Etat  pour certains projets qu'il subventionne… Désolé-e-s, pas de "
changement  d'époque  de fonction sociale de l'art "13. Tant qu'il est
placé  sous  l'aile  (même  quand  elle  se prétend protectrice) d'une
autorité  institutionnelle  (Etat, marché, mécènes, …), l'art garde ce
rôle d'allié subalterne du pouvoir.           

Evidemment,  lors de ces trois jours à la Friche La Belle de Mai, " la
contribution de l'art à la transformation de la société "13 est restée
nulle.  Nulle,  si l'on entend par " transformation de la société " le
bouleversement  des  rapports  sociaux.  Dans  la  forme comme dans le
contenu, ateliers et tables rondes ont perpétué la hiérarchie sociale.
Des  spécialistes  ont  dialogué  entre eux/elles devant d'importantes
assemblées  muettes  de  personnes  pourtant  très  concernées par les
sujets  traités.  L'insistance  avec  laquelle  les  rôles de chacun-e
étaient  conservés était digne des milieux les plus réactionnaires (et
cela  bien  au-delà  des activités " culturelles " de ces trois jours,
puisque  de nombreuses/nombreux employé-e-s, en tant que femmes/hommes
de ménage, cuisinier-e-s, serveurs/euses, hotes-ses d'accueil, étaient
cantonné-e-s   dans   des   rôles  plus  ou  moins  invisibles  et/ou
méprisé-e-s),  alors  quand  nous  entendons tou-te-s ces spécialistes
parler  de  "  réinventer  "  les rapports sociaux, nous avons à peine
envie  de  leur  dire  que  c'était  totalement  ridicule de vouloir "
confronter  ces expériences [les fameux nouveaux territoires de l'art]
dans  leur  diversité  afin  de  mieux  mettre  en évidence ce qui les
distingue et ce qui les relie à travers le monde "14.                  

Le rôle de l'artiste, lui, est mythifié. Le rapport Lextrait rencontre
des  " nouveaux artistes " et s'en ébahit. Il se trouve soudain face à
une  profession  surprenante,  presque  effrayante : " l'artiste " que
l'Etat  découvre  semble  presque  ne  plus  en être un, il a l'air de
remettre  en  cause,  dans  ses  propres  pratiques, la notion même de
profession,  de  métier, de fonction sociale, il ne se cantonne plus à
un  rôle,  il  expérimente la richesse d'une vie et la globalité de sa
personne.  Le  pouvoir,  perdu,  cherche  ses  mots pour qualifier cet
éclatement d'un statut social : " transversalité ", " hybridation ", "
pluridisciplinarité  ",  "  décloisonnement  ",  "  simultanéité  ", "
multiplication  des  fonctions  "7… Il cherche un vocabulaire connu et
rassurant  pour  se  cacher  ce qu'il a peur d'apercevoir : il parle "
d'une  nouvelle  fonction  ",  de  " redéfinir un métier de producteur
artistique  "7.  L'idée  est  évidemment  de  constater  chaque petite
révolution en la ramenant délicatement dans la logique traditionnelle.
"  L'artiste  "  remet  en question l'idée de profession ? C'est qu'il
recrée une nouvelle profession, une profession de la non-profession. "
L'artiste  " semble dépasser un rôle social étriqué ? C'est que lui et
lui  seul  a  droit à ce privilège, à ce rôle social qu'on va nommer à
tout  va,  dont  on  va remplir des pages : un jour on finira bien par
l'affubler  d'un  grand  A,  de  peur de le voir s'effacer. " Artiste,
artiste, artiste ".
Pour  mieux transformer les gens en moutons, on confère à l'artiste le
droit  et le devoir de " troubler l'ordre des choses ". Plus besoin de
contester,  l'art  le  fait  à  notre  place  :  il sait construire un
discours,  interpeller,  choquer.  L'art  tel  qu'il  est  conçu a une
vocation  cathartique  : faire que le/la spectateur/trice exorcise ses
craintes,  évacue  sa  révolte  en  recevant  passivement " l'œuvre ".
Pourquoi  alors  faire  la  révolution  dans  la  réalité puisqu'on la
représente si bien dans l'art ?
Nous n'envisageons pas l'art comme art, mais les pratiques considérées
"  artistiques  "  comme  partie prenante de nos quotidiens. Il s'agit
pour  nous  de  mettre  en  acte  dans  la  réalité ce que d'autres se
contenteraient  d'exprimer  dans  l'art. Si nous avons des pratiques "
artistiques ", elles suscitent une sorte d'insatisfaction qui a besoin
d'être  complétée  par  l'action  réelle.  Elles  n'ont  pas de statut
particulier  et  ne  sont  pas  réservées  à  des  spécialistes. C'est
tou-te-s  que  nous  exprimons nos craintes, nos révoltes, nos amours,
par  tous  les  modes que nous inventons, que nous nous réapproprions,
que  nous  détournons…  Etre  utiles  n'est  pas  notre souci. Nous ne
voulons pas laisser aux artistes le monopole de l'inutilité.
Nous  créons,  nous bidouillons, nous nous exprimons tous les jours en
bon-ne-s  artistes quotidien-ne-s et nos oeuvres inestimables, ce sont
nos  propres  existences.  Nous  nous réapproprions une globalité, une
liberté   et  une  jouissance  qu'on  veut  réserver  à  la  fonction
artistique.  Nous  n'avons  pas  besoin de revendiquer une posture, un
qualificatif ou un statut reconnus par l'Etat.     
  
On  nous  traitera  d'utopistes.  Normal,  c'est  la meilleure manière
d'évacuer   les  questions  de  fond.  Dans  la  culture  comme  dans
l'économie,  il  vaut mieux penser des stratégies de surface, de court
terme,  qui  rendent  la  réalité  plus  supportable, qui retardent et
amplifient  les  catastrophes prochaines, plutôt que de se pencher sur
les racines de la misère du monde. Le Sud meurt de faim, le Nord meurt
d'ennui  et  d'asepsie, mais les deux hémisphères ne sont que les deux
pans  d'une  même  pourriture.  Et  on  se  qualifie  pompeusement  de
pragmatiques  quand  notre  action se limite à se boucher le nez. Nous
voulons  déboucher  des  naseaux,  en  commençant  par  les nôtres, et
rappeler que tous les outils existent pour choisir " un autre monde ".
Que  la  seule chose qui manque, et depuis longtemps, c'est la volonté
politique.  Non  pas  la  volonté  politique des politicien-ne-s, mais
celle  de chacun-e, cette volonté politique qu'on veut encore une fois
circonscrire  à une élite mais qui n'est en réalité que la capacité et
l'envie,  pour  chaque  individu,  de  réfléchir  et de prendre part à
l'organisation  collective  de  sa  société.  Nous  ne  parlons pas de
démocratie,  encore moins de démocratie participative, nous ne parlons
d'aucun  système  qui croit encore à l'utilité d'experts-directeurs de
la  vie  de  millions  de personnes. Nous voulons parler d'autogestion
généralisée.  Et  nous  pensons que " le véritable défi de notre temps
"7,  les  séminaires  les plus cruciaux, seront des palabres de rue et
des  expériences  de  vie  qui  poseront la question des pistes et des
tentatives   vers   cette   autogestion,  cette  émancipation,  cette
autonomie, tellement découragée qu'on ne veut jamais l'embrasser.

Il  ne  nous  a  pas  semblé dans ce colloque apercevoir de quelconque
confrontation constructive à l'exception de rencontres informelles qui
pouvaient avoir lieu hors de vos chapiteaux mondains… Quand un chef de
friche  dit  vouloir  "  cultiver  l'ordinaire  pour  rendre  le monde
supportable  "15,  nous  répondons  qu'il  n'y  a  rien de chouette ou
d'extraordinaire   à   cultiver  et  reproduire  l'ordinaire  et  les
oppressions  qui  l'accompagnent.  Le  monde  n'en deviendra pas moins
insupportable,  et  même  s'il  devenait  "  supportable ", ça ne nous
suffirait pas.
Voilà  pourquoi  nous avons abandonné la partie quand elle se joue sur
le  terrain du pouvoir. Nous n'avons pas participé à ce colloque, nous
n'y  avons  pas dialogué, au grand dam de certains organisateurs et de
certaines  organisatrices. Nous ne croyons pas pouvoir construire quoi
que  ce  soit  sur  des bases aussi moisies. Nous sommes venu-e-s pour
rappeler  que  des  gens  créent,  pensent  et  ressentent,  rient  et
pleurent,  bâtissent  et  déconstruisent, s'activent et glandent, dans
des  squats  et  d'autres lieux de vie collective, en marge autant que
possible  des  cadres  institutionnels  et  marchands.  Que des choses
intenses  s'y  jouent,  s'y  élaborent  et s'y vivent, sans salaire ni
hiérarchie  ni  subvention  ni  permission. Nous préférons cette vie à
celle  que la pub nous vend, que l'art nous raconte et que l'Etat nous
suggère   avec   assez   d'insistance   pour   brouiller  les  autres
possibilités.  Ce  sont  ces  autres possibilités qui nous démangent :
nous les grattons avec délectation.

                Des squatteureuses d'un peu partout et d'ailleurs

[Texte  écrit  " à l'arrache " par trois personnes, dans la nuit du 15
au 16 février 2002]

Notes :
1.        Programme   de   la  rencontre  internationale  "  Nouveaux
territoires de l'art ", Atelier 4, table ronde 4.
2.       puisque  c'est  ainsi  que ces 3 jours sont présentés dans le
programme  : " Rencontre internationale- Nouveaux Territoires de l'art
- friches, laboratoires, projets pluridisciplinaires, fabriques, squats "
3.       Dossier  de  presse  laisser par la friche la Belle de Mai au
sujet de la rencontre internationale " Nouveaux territoires de l'Art "
4.      Lettre du 17 octobre 2000, publiée dans le rapport Lextrait.
5.        Interview   de  Michel  Duffour  dans  le  quotidien  "  La
Marseillaise " du 14 février 2002.
6.       In  "  La  Marseillaise  " du 14 février 2002, cité par Denis
Bonneville dans l'article " Friches en têtes ".
7.      Voir résumé du rapport Lextrait.
8.       Edito  de  Claudine  Dussollier  et  Fabrice  Raffin  in " Le
Journal-Nouveaux territoires de l'Art " du 14 février 2002.
9.      Interview de Paul Virilio in " Le Journal-Nouveaux territoires
de l'Art " du 14 février 2002, page 27.
10.     In " Le Journal-Nouveaux territoires de l'Art " du 14 février 2002, page 30.
11.      Cité  par  Bruno  Masi  dans  l'article  "  foire aux friches
d'artistes à Marseille " in Libération du 14 février 2002.
12.        "   Grogne   chez   les  squartistes  !  !  !  "  in  le  "
Journal-Nouveaux territoires de l'Art " du 15 février 2002.
13.       Présentation de la rencontre " Nouveaux territoires de l'Art
" par Michel Duffour, dans la première plaquette de présentation.
14.       Edito  de  Fabrice  Raffin in " Journal Programme, Friche la
Belle de Mai " de janvier/février/mars 2002, page 8.
15.       Philippe Foulquié in " Journal Programme, Friche la Belle de
Mai " de janvier/février/mars 2002, page 2. 

Pour toute critique, toute remarque, tout contact : 
ZA (ZonArd-e-s)
c/o maloka, bp 536,
21014 Dijon cedex, france
lnb4@caramail.com, iosk@altern.org, zanzara@squat.net 

Pour toute info sur des squats, allez faire un tour sur :
https://squat.net


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Pour  lire  le  tableau  "Le  langage  des nouveaux experts de l'art",
ouvrez le fichier joint...

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Vous  pouvez  également en savoir plus, et avoir une idée plus précise
de  ce  qui  se  trame  autour  de  ces  questions  d'art,  de  lieux
"alternatifs",  de  squats, de légalisation et d'Etat, en allant faire
un tour sur les sites de la friche Belle de mai et du gouvernement... :   

Sur la rencontre "Les Nouveaux Territoires de l'Art" :
http://www.culture.fr/culture/actualites/index-flextrait.htm

Plus d'infos sur le programme :
http://www.lafriche.org/nta/fr/

Pour une présentation de la Friche Belle de mai par elle même :
http://www.lafriche.org/friche/friche/index.html

Le  rapport  Lextrait, commandé par le secrétaire d'Etat au patrimoine
et à la décentralisation culturelle Michel Duffour, est sur :
http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/rapports/lextrait/sommaire.htm

L'Etat évoque sa main mise sur des expériences "alternatives" artistiques :
http://www.culture.fr/culture/actualites/index-flextrait.htm


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